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Enquête sur la mort des patients dialysés de 2021

Des souvenirs vifs, des blessures ouvertes

4 juin 2025, 09:00

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Des souvenirs vifs, des blessures ouvertes

Hier, la salle d’audience de la Cour de Curepipe a été plongée dans un silence pesant, rythmé par les récits poignants de deux proches endeuillés par la pandémie de Covid-19. À la barre : l’époux de Dookoomanee Sab et l’épouse de Keerpanand Beedassy. Deux voix calmes mais fermes, deux histoires douloureusement similaires, un même fil conducteur : la souffrance, l’abandon et la quête de justice.

Face aux questions de Mᵉ Jean Michel Ah Sen, représentant du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), et de Mᵉ Veda Baloomoody, les deux témoins ont retracé les dernières heures de leur conjoint. Tous deux souffraient de comorbidités, notamment du diabète nécessitant des injections d’insuline. «J’ai toujours aidé mon épouse pour ses injections. Mais lorsqu’elle a été envoyée en quarantaine à l’hôtel Tamassa, elle s’est retrouvée livrée à elle-même», a témoigné Laval Sab, la voix lourde de douleur contenue. Il lui avait confié un téléphone portable pour garder le contact, mais très vite, les appels sont devenus des cris d’alerte. «Elle me répétait qu’elle était seule, sans assistance.»

Le 27 mars, testée positive au Covid-19, Dookoomanee Sab est ballottée entre l’hôtel et l’hôpital ENT de Vacoas. L’hôpital de Souillac, alors en pleine désinfection, ne pouvait encore l’accueillir. Ce n’est que le 28 mars qu’elle y est transférée et elle y restera jusqu’à son décès, le 11 avril. «Elle m’a dit qu’elle n’avait reçu aucun traitement contre le Covid, malgré sa positivité.» Ce qui révolte Laval Sab, c’est l’absence totale de communication : «À partir du 5 avril, son état s’est détérioré, mais personne à l’hôpital ne m’en a informé. J’appelais, mais personne ne répondait.» Quatre ans après, son chagrin est toujours là, intact. «Je n’arrive pas à faire mon deuil. J’attends la vérité. Et une compensation.»

Kiran Beedassy peine, elle aussi, à contenir son émotion en évoquant son époux. L’homme venait tout juste d’être amputé d’un pied lorsqu’il a été placé en quarantaine. «Son dernier suivi médical a eu lieu le 22 mars. Le 25, quand les autorités m’ont informée de son transfert à l’hôtel Tamassa, j’ai supplié qu’il reste isolé chez nous. Refus catégorique.» Contrairement aux autres patients, ce n’est que le 27 mars qu’une ambulance vient le chercher. Mais même là, l’accompagnement est défaillant. «Les ambulanciers ont refusé de l’aider à monter dans le véhicule par crainte du Covid. C’est la famille qui a dû le faire.» Une demande est formulée pour qu’un neveu l’accompagne à l’hôtel – seule lueur d’humanité dans cette chaîne froide de décisions.

Puis vient la nuit du 28 mars, qu’il passera à l’hôpital après avoir été testé positif. «Il a crié toute la nuit. Il voulait nous voir, moi et nos trois enfants. Il demandait qu’on le sorte de là. Il souffrait de sa plaie, de son isolement. Et ce que j’ai appris ensuite m’a bouleversée : ses effets personnels ont été balancés sur sa jambe amputée lors de son transfert à l’hôpital.» Le lendemain matin, l’hôpital l’appelle pour lui annoncer la triste nouvelle du décès de son époux, alors qu’il allait entamer sa session de dialyse.

Chaque semaine, ces témoignages déchirants rappellent les manquements et les silences dans la gestion de cette crise. La prochaine audience est fixée au vendredi 6 juin, toujours sous la présidence de la magistrate Shavina Jugnauth.

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