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Tourisme

De la carte postale au plan de sauvetage

10 juin 2025, 04:35

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De la carte postale au plan de sauvetage

Il fut un temps – pas si lointain – où Maurice se vendait toute seule. Une mer d’azur, deux cocktails, quelques filaos, et la carte postale faisait le reste. On alignait les chiffres, on célébrait les records d’arrivées comme autant de médailles économiques. Mais ce temps est révolu. Le tourisme, miroir flatteur de notre économie, est devenu un révélateur brutal de nos défaillances. Et le Budget 2025–2026, s’il amorce une rupture de ton, reste un chantier à ciel ouvert.

Le Premier ministre l’a reconnu sans détour : le secteur doit être entièrement revu. À la MTPA, à la Tourism Authority, au ministère du Tourisme, on parle désormais de réinvention, de Blueprint, de qualité plutôt que quantité. Bonne nouvelle. Mais en attendant que les mots deviennent des actes, la réalité, elle, s’effondre. Les arrivées chutent, les recettes stagnent, les jeunes désertent les métiers du secteur, et même la mer semble fatiguée de porter nos illusions.

Le diagnostic est connu : une dépendance excessive au modèle balnéaire, une concentration de l’activité sur quelques zones côtières, une pression insoutenable sur les écosystèmes, et une déconnexion croissante entre les Mauriciens et ce que leur île devient. Dans les années 2010 déjà, on parlait de surtourisme. Mais au lieu d’adapter notre modèle, on a empilé les hôtels, privatisé les plages, verrouillé l’accès aux habitants. Résultat : une industrie brillante en apparence, mais socialement et écologiquement disqualifiée.

Aujourd’hui, le gouvernement fait marche arrière – et il a raison. Il promet un tourisme de valeur ajoutée, plus durable, plus intégré, plus innovant. Il prévoit Rs 900 millions pour cela, et annonce l’introduction d’e-gates à l’aéroport. Mais le plus urgent n’est pas l’innovation technologique. C’est l’humain. Le secteur manque de bras : 70 000 travailleurs étrangers nécessaires, dont 10 % rien que pour le tourisme. Une bombe sociale à retardement, dans un pays où 23 % des jeunes sont sans emploi.

Le Budget introduit aussi une taxe de séjour de 3 euros par nuit. Une bonne idée, si elle est bien utilisée. Mais elle devra être fléchée vers la régénération des sites naturels, la formation locale et la mise à niveau des infrastructures publiques. Sinon, elle ne sera qu’un prélèvement de plus, sans retour tangible pour les opérateurs ni pour la population.

À l’AHRIM, on applaudit le changement de ton, tout en appelant à la prudence. On salue la volonté de structurer le secteur mais s’inquiète de la multiplication des charges, de la taxation mal calibrée, et de la concurrence déloyale du secteur informel. Le message est clair : ce virage ne peut réussir que si tous les acteurs jouent le jeu. Sinon, ce sera l’asphyxie d’un secteur déjà à bout de souffle.

Ce Budget a aussi le mérite de replacer la durabilité au cœur du discours touristique. Le Premier ministre évoque le changement climatique, l’érosion des plages, la nécessité d’un tourisme plus équilibré dans le temps et l’espace. On parle enfin de connectivité aérienne intelligente, de positionnement stratégique, et de reconquête des marchés traditionnels (France, UK, Allemagne), qui boudent l’île depuis un an.

Mais un détail dérange : aucune projection. Aucune cible en matière de fréquentation ou de revenus. Pas de plan d’action détaillé. Pas de calendrier. Pas de feuille de route. Or, sans pilotage clair, on navigue à vue. On formule des intentions, mais on ne trace pas de cap.

Reste l’essentiel : redonner du sens au tourisme mauricien. Ce secteur ne peut plus être un gisement à devises pour groupes hôteliers cotés en Bourse. Il doit redevenir un projet de société. Un levier d’inclusion, de justice territoriale, de mémoire vivante. Il faut rendre les plages aux Mauriciens, associer les pêcheurs, les artisans, les agriculteurs, les jeunes, les artistes. Le tourisme ne doit pas se faire contre les Mauriciens, mais avec eux.

La carte postale est finie. Ce qu’il nous faut désormais, c’est un récit nouveau. Un tourisme qui parle au cœur, pas seulement au portefeuille. Un tourisme qui commence là où s’arrêtent les clichés : dans les ruelles, les marchés, les vergers oubliés, les lagons blessés. Et qui regarde l’île, enfin, comme un pays – pas un décor.

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