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Morts en détention

De Kaya à Caël Permes, l’ombre du silence

25 juillet 2025, 14:30

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De Kaya à Caël Permes, l’ombre du silence

Kaya est décédé dans une cellule d’Alcatraz le 21 février 1999 et Jean-Caël Permes a été retrouvé mort à la prison de La Bastille le 5 mai 2020.

Vingt-six ans après les émeutes déclenchées par la mort de Kaya en cellule policière, des décès récents en détention ou en garde à vue ravivent les interrogations sur le respect des droits humains à Maurice. Familles, proches et militants dénoncent une culture d’impunité persistante.

Le précédent Kaya Arrêté pour avoir fumé un joint sur scène lors d’un concert en faveur de la dépénalisation du cannabis, Kaya est retrouvé mort dans sa cellule, trois jours plus tard. Traces de coups à la tête… fracture du crâne. L’autopsie officielle évoque… une méningite. L’opinion ne s’y trompe pas. Des policiers sont entendus, aucun ne sera sanctionné.

La mort du chanteur, dans une cellule du centre de détention d’Alcatraz, aux Casernes centrales, déclenche les pires émeutes qu’ait connues l’île depuis l’indépendance. Elle marquera un tournant dans la conscience citoyenne mais aussi un traumatisme encore vif dans la mémoire collective.

Le cas Caël Permes toujours non élucidé

Plus de 20 ans après, les mêmes interrogations ressurgissent. Le 5 mai 2020, Jean-Caël Permes, 29 ans, est retrouvé mort dans une cellule de la prison de La Bastille, à Phoenix, moins de 24 heures après son transfert de celle de Beau-Bassin. L’autopsie attribuera le décès à un choc hémorragique causé par des blessures multiples. Des traces de sang sont relevées dans le véhicule de la Correctional Emergency Response Team qui avait assuré son transfert.

Plusieurs policiers sont arrêtés, puis relâchés sous caution. Aucun procès n’a abouti. La veuve, Chana Permes, multiplie les démarches juridiques. «On nous dit d’attendre l’enquête. Mais combien de temps faut-il pour dire la vérité ?», écrit-elle dans une lettre ouverte. À ce jour, aucune conclusion officielle n’a été rendue publique. N

Nombreux cas, rares réponses

Plusieurs décès en détention ou en garde à vue, ces cinq dernières années, restent entourés d’un flou inquiétant :

• Mohummad Khaleel Anarath (novembre 2019) : retrouvé mort au centre de détention d’Alcatraz. L’autopsie évoque une cause «naturelle» mais des marques suspectes sont observées. Enquête toujours en cours.

• Michael Louise (mars 2020) : décède à la prison de Beau-Bassin dans des circonstances non élucidées. La famille réclame une contre-expertise.

• David Utcheegadoo (mai 2020) : mort par pendaison en cellule policière à Trou-d’Eau-Douce. Ses proches affirment qu’il allait être libéré sous caution et contestent la thèse officielle.

•Aayaaz Gungah (février 2021) : retrouvé inanimé en cellule avec des traces de sang. Enquête ouverte. Les images de vidéosurveillance auraient été inexploitables. Dans chacun de ces cas, les familles expriment le même sentiment d’impuissance : peu d’accès aux rapports d’enquête, aucune prise en charge psychologique et des procédures jugées opaques.

Une prison modèle

Inaugurée en 2017, la prison de Melrose devait être un modèle en matière de conditions de détention. On peut se demander si les caméras de surveillance qui s’y trouvent fonctionnent. Plusieurs témoignages récents font état de traitements dégradants : fouilles abusives, repas volontairement refusés, isolement prolongé en cellule sans justification. Des plaintes ont été adressées à la National Human Rights Commission (NHRC) et à l’Independent Police Complaints Commission (IPCC), mais aucun rapport n’a encore été rendu public.

Parole de familles et mutisme de détenus

L’absence d’informations nourrit la colère, mais aussi la peur. Un ancien détenu, aujourd’hui libre, témoigne sous couvert de l’anonymat :* «On ne parle pas car si on parle, on paie. Ceux qui sont encore à l’intérieur savent ce que ça coûte de dire la vérité.»* Les familles, quant à elles, dénoncent l’isolement dans lequel elles se retrouvent. «Quand mon frère est mort, personne ne m’a appelée. On a appris sa mort par les réseaux sociaux», raconte la sœur d’un détenu, mort en 2022.

Mécanismes de contrôle jugés inefficaces

Les décès en détention sont théoriquement couverts par plusieurs mécanismes de contrôle : le Prison Welfare Office, la NHRC, le Directeur des poursuites publiques et l’IPCC. Mais sur le terrain, la coordination semble défaillante. Aucun audit indépendant global sur les conditions de détention n’a été publié depuis 2015. Des organisations non gouvernementales, telles que DIS-MOI, le Collectif Arc-en-Ciel ou le parti LALIT, réclament la mise en place d’une commission d’enquête indépendante, chargée de faire la lumière sur tous les cas de décès en détention survenus ces dix dernières années.

Un engagement fragilisé

L’État mauricien s’est engagé, par le biais de conventions internationales, à garantir la protection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Mais les faits rapportés, le silence institutionnel et l’absence de sanctions visibles fragilisent cet engagement.«Les droits de l’homme ne s’arrêtent pas aux portes des prisons», rappelle un avocat spécialisé en droit pénal. «La justice n’est pas un privilège réservé à ceux qui sont en liberté.»

De Kaya à Caël Permes, en passant par des dizaines d’autres noms parfois oubliés, une constante semble se dégager : les morts en détention suscitent l’indignation, mais rarement des réponses. Et encore plus rarement des sanctions. Tant que des familles devront enterrer leurs proches sans savoir ce qui s’est vraiment passé, tant que des détenus craindront des représailles pour avoir parlé, le silence autour des prisons restera une zone d’ombre dans l’état de droit mauricien.

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