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Affaire des valises

Chute et résilience: Le test du feu

18 février 2025, 05:32

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L’histoire politique de Maurice a vu défiler des Premiers ministres aux destins contrastés, mais rares sont ceux qui ont connu l’épreuve de la disgrâce comme Navin Ramgoolam en 2015 et Pravind Jugnauth en 2025. Tomber de très haut peut briser un homme ou le forger dans l’adversité. Comment ces deux figures majeures ont-elles traversé l’humiliation publique ? Comment ont-elles tenté de remonter la pente après avoir touché le fond…

La nuit du 6 février 2015 marque un tournant pour l’ancien chef du gouvernement. De leader incontesté du Parti travailliste, il devient un citoyen ordinaire en état d’arrestation, traîné dans un tourbillon médiatique après la découverte de coffres-forts bourrés d’argent liquide – et d’autres items que Pravind Jugnauth avait pris un vicieux plaisir à lister – à son domicile de Riverwalk.

La police, sous un gouvernement Lepep fraîchement élu, orchestrait une descente spectaculaire, exposant Ramgoolam à une foule en colère. Vêtu d’une chemise en lin froissée, le col ouvert comme un soleil, le chef déchu était escorté aux Casernes centrales sous les huées, la presse capturant chaque instant de cette chute publique. L’arrestation posait immédiatement une question : s’agissait-il d’une opération de justice ou d’un règlement de comptes politique et médiatique ?

Si certains y voyaient la fin d’un règne marqué par l’opacité financière, d’autres dénonçaient une vendetta institutionnelle, instrumentalisée par le nouveau pouvoir. L’ancien Premier ministre passait en quelques heures du statut de chef de gouvernement/pilier de l’État à celui de suspect devant répondre d’accusations de blanchiment d’argent.

Pravind Jugnauth – février 2025

Dounk.jpgPravind Jugnauth sous le choc de son arrestation le dimanche 16 février 2025. © Beekash Roopun

Dix ans plus tard, le scénario se répète, cette fois avec Pravind Jugnauth, le fils héritier de SAJ, qui quitte le fauteuil de Premier ministre après sa défaite du 11 novembre dernier. Son nom est cité dans une enquête pour blanchiment d’argent : des valises remplies de billets sont retrouvées chez un proche, Josian Deelawon, un homme d’affaires influent et le comptable de ce dernier.

Navin.jpgNavin Ramgoolam sous forte escorte policière lors de son arrestation musclée le 6 février 2015. © Beekash Roopun

Contrairement à Ramgoolam, Jugnauth n’est pas traîné menotté dans les rues de Port-Louis, mais il subit néanmoins une nuit d’interrogatoire, marquant un coup de tonnerre dans la classe politique. Les symboles sont forts : le leader du MSM, autrefois impitoyable avec ses adversaires, goûte lui-même à l’humiliation de l’enquête d’une FCC mise sur pied avec Navin Beekarry pour contrer, dit-on, ses adversaires politiques.

Entre stratégie et survie politique

Ramgoolam, en 2015, comprend vite que la situation est critique. Il sait que l’image est plus forte que les mots, et la sienne est dévastée par les coffres-forts remplis de devises étrangères, dont des coupures jamais mises en circulation. La première phase de son redressement passe par un repli stratégique. Pendant des mois, il se tait, évite les médias, travaille dans l’ombre à regagner la confiance de ses partisans.

Jugnauth, lui, ne bénéficie pas d’un silence protecteur. Son parti est encore puissant et ses lieutenants orchestrent immédiatement une riposte. Dès son passage à la FCC, des figures du MSM, y compris d’anciens ministres, défilent pour afficher leur soutien, créant une atmosphère de mobilisation. Il sait que s’il recule trop, il risque de perdre le contrôle du MSM. L’après-chute est toujours plus dangereux qu’on ne le pense. Quand un chef tombe, ce ne sont pas toujours ses adversaires qui l’achèvent, mais parfois ses propres partisans.

Ramgoolam, après son arrestation, doit faire face aux dissensions internes. Des figures travaillistes, sentant le vent tourner, cherchent à accélérer son éviction. Mais il tient bon, gardant le contrôle du parti et misant sur le temps pour réhabiliter son image. En parallèle, il tente de retourner l’affaire en sa faveur, se posant en victime d’une machination politique orchestrée par les Jugnauth.

Pour Jugnauth, le défi est similaire. Si son parti ne s’effondre pas immédiatement, il doit éviter que ses propres troupes ne l’abandonnent. Certains voient déjà en cette affaire une opportunité pour prendre le contrôle du MSM. Pravind n’a pas le luxe d’attendre : il doit montrer qu’il reste maître du jeu, même sous enquête.

Ramgoolam réussit un tour de force. Lentement, il reconstruit son image, accumulant les apparitions publiques, se présentant comme un homme persécuté qui a payé le prix fort. Et qui a reconnu ses torts et dit «avoir changé». En quelques années, il revient sur le devant de la scène, jusqu’à défier le MSM aux élections suivantes. Pour Jugnauth, le combat est encore en cours. S’il parvient à survivre aux premiers mois après son arrestation, il pourra espérer revenir dans la bataille électorale. Mais son défi est plus grand : contrairement à Ramgoolam, il a construit son image sur la lutte anticorruption. Être mêlé à une affaire de blanchiment mine profondément son argumentaire politique.

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Ce que ces deux affaires révèlent, c’est que Maurice est prise dans une boucle où le pouvoir et la justice s’entremêlent. Dix ans après l’humiliation de Ramgoolam, Jugnauth traverse une épreuve similaire, confirmant que la chute est un passage obligé pour ceux qui règnent trop longtemps.

Mais la vraie question demeure : un leader peut-il revenir indemne après avoir été jeté en pâture à l’opinion publique ? L’avenir nous dira si Pravind Jugnauth saura, comme Ramgoolam, transformer son épreuve en tremplin politique, ou si son arrestation signera la fin de son ascension.

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