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Éclairage
Chute des élites : l’image d’une juridiction en quête de crédibilité vacille…
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Éclairage
Chute des élites : l’image d’une juridiction en quête de crédibilité vacille…

Maurice s’est longtemps targué d’être un modèle de démocratie, de stabilité économique et de bonne gouvernance. Mais cette image, patiemment construite depuis l’Indépendance, vacille dangereusement ces derniers mois à la lumière d’une série d’événements aux relents politico-judiciaires.
Les arrestations de plusieurs figures emblématiques du pouvoir politique et financier, dont l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, le Chief Executive Officer (CEO) de la Mauritius Investment Corporation (MIC), Jitendra Bissessur, l’ex-gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, et même l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, pour des affaires présumées de détournement de fonds publics, fraude ou blanchiment d’argent, envoient un signal inquiétant aux observateurs nationaux et internationaux : la juridiction mauricienne traverse une profonde crise de crédibilité.
Cette série d’arrestations estelle un fait isolé ? Ou, au contraire, s’agit-il d’un symptôme révélateur d’un système institutionnel fragilisé, gangrené par les dérives du pouvoir de ces dernières années et les failles d’un modèle de gouvernance en fin de cycle ? La question mérite d’être posée avec rigueur, surtout à l’heure où le pays fait face à une conjoncture économique incertaine et à des pressions croissantes sur les plans fiscal, budgétaire et géopolitique.
Il serait réducteur de considérer l’arrestation de l’ex-ministre Padayachy comme un simple incident. Cet ancien Grand argentier, artisan de la politique économique post-Covid et figure de proue du pouvoir jusqu’à récemment, a passé cinq nuits dans une cellule policière à Moka dans le cadre d’une enquête de la Financial Crimes Commission. Cette image forte, reprise par les médias internationaux, contribue à miner la perception d’un État de droit robuste et d’une classe dirigeante intègre.
Lorsque cette arrestation s’inscrit dans une séquence où le CEO de la MIC – une structure créée pour injecter des fonds publics dans le tissu économique après le Covid – puis l’ex-gouverneur de la Banque centrale sont également interpellés pour des motifs similaires, la présomption d’un dysfonctionnement systémique prend corps. La mise en cause de l’ex-Premier ministre, sur des soupçons de blanchiment d’argent, parachève ce tableau noir. Dans ce contexte, c’est tout le narratif du «Mauritius Inc.», longtemps valorisé pour son sérieux réglementaire et sa résilience financière, qui s’effondre.
Pour autant, il ne faut pas précipiter les jugements de ces suspects VVIP et sceller leur sort avant même que la justice n’ait tranché. «Il faut relativiser ces high profile cases et adopter une posture nuancée. Pour le moment, ils sont présumés innocents sur la base des allégations», explique John Chung, Managing Partner chez KPMG. N’empêche que ces arrestations projettent une image négative de la juridiction mauricienne, de nature à faire réfléchir deux fois un étranger avant de choisir le centre financier pour investir, estime, pour sa part, Azad Jeetun, économiste et ex-directeur de la défunte Mauritius Employers Federation.
Les arrestations de VVIP ne sont pas inédites sur la scène internationale. En Afrique, le président sud-africain, Jacob Zuma, a été condamné à la prison pour outrage à la justice en 2021 et son implication dans les affaires de «State Capture» reste emblématique de la corruption à grande échelle. En Algérie, plusieurs hauts responsables et anciens Premiers ministres ont été condamnés pour des scandales de corruption après la chute du président Bouteflika. Plus récemment, le président sénégalais, Macky Sall, a vu son régime critiqué pour l’instrumentalisation judiciaire à des fins politiques, mais aussi pour les dérives dans la gestion des fonds publics.
En Europe, la condamnation de Nicolas Sarkozy pour financement illégal de campagne et, récemment, Marine Le Pen reconnue coupable de détournement de fonds publics par le tribunal de Paris montrent que même les démocraties établies ne sont pas immunisées contre la corruption de leurs élites. Aux États-Unis, les procès récents de personnalités comme Donald Trump, aujourd’hui président des États-Unis, pour falsification de documents montrent que les institutions judiciaires peuvent aussi poursuivre les plus hauts placés.
Maurice, en ce sens, rejoint cette tendance globale, mais la multiplication des cas en si peu de temps, couplée à une opacité persistante dans la gouvernance de certaines institutions, risque de nourrir une perception bien plus critique : celle d’un État en perte de contrôle sur ses élites politiques et économiques.
Certes, on peut être influencé par ce narratif qui veut que si l’Afrique a connu son lot de dirigeants épinglés pour corruption et que les démocraties occidentales n’y échappent pas, alors ce n’est peut-être pas si grave pour Maurice. Mais cette lecture doit être rejetée d’un revers de la main, avertit un haut cadre opérant dans le Global Business. «La crédibilité et la transparence de notre juridiction sont nos principaux atouts pour attirer des investisseurs à Maurice. L’instabilité politique en Afrique a longtemps été un argument de marketing en faveur de Maurice. Aujourd’hui, il est à craindre que les investisseurs ne perçoivent plus de différence entre nous et d’autres États africains.»
Une économie sous pression
Ces affaires judiciaires interviennent dans un contexte économique délicat. Le gouvernement de l’Alliance du changement, fraîchement installé, s’apprête à présenter son premier Budget. Mais les marges de manœuvre sont étroites. Le récent rapport préliminaire du Fonds monétaire international (FMI), à l’issue de ses consultations au titre de l’Article IV, dresse un tableau peu rassurant. S’il note les progrès accomplis depuis la pandémie, le FMI alerte sur les «downside risk» qui pourraient affecter la croissance à court terme. Une prévision de croissance de seulement 3,3 % pour 2025 est avancée, légèrement en deçà des projections de Statistics Mauritius (3 %).
Les causes sont multiples : ralentissement de la demande extérieure, essoufflement de l’activité touristique, impact d’une sécheresse aiguë sur l’agriculture et l’approvisionnement en eau. À cela s’ajoute un contexte géoéconomique tendu, marqué par les tensions commerciales, l’instabilité financière et les effets persistants de la guerre en Ukraine et du conflit au Moyen-Orient.
Dans ce climat incertain, le gouvernement devra rassurer. Or, l’instabilité politique créée par les affaires judiciaires affaiblit le capital de confiance, aussi bien localement qu’internationalement. La crédibilité du Budget à venir dépendra fortement de la capacité du pouvoir à démontrer une gouvernance saine, transparente, et une volonté réelle de rupture avec les pratiques passées.
Dans la foulée, un autre nuage s’annonce à l’horizon : la menace d’un nouveau déclassement de la note souveraine par Moody’s. L’agence avait déjà rétrogradé la note du pays à la suite de la pandémie, invoquant une détérioration des finances publiques, un creusement du déficit budgétaire et une dépendance accrue à la dette. La promesse d’un retour à la discipline budgétaire faisait partie des conditions pour éviter une nouvelle dégradation.
Si les arrestations de personnalités liées à la gestion des fonds publics, notamment via la MIC, jettent le doute sur l’intégrité du processus, il est plausible que Moody’s considère cela comme un facteur de gouvernance à risque. Une dégradation supplémentaire aurait des conséquences graves : hausse du coût de la dette, fuite des capitaux, fragilisation du taux de change et difficulté à attirer des investisseurs étrangers, expliquent les analystes financiers.
Au-delà des indicateurs macroéconomiques, c’est la nature du contrat institutionnel qui est en jeu. Le citoyen mauricien, confronté à la montée des prix, à un climat d’incertitude et à une certaine désillusion politique après les dernières élections, attend des signaux forts. La réforme de la gouvernance des institutions publiques, la redéfinition du mandat de la MIC et la garantie de l’indépendance judiciaire sont des chantiers incontournables.
L’heure est venue d’engager un vaste exercice de vérité. L’impunité des élites, réelle ou perçue, est un poison pour la démocratie. À l’inverse, une justice équitable, indépendante et respectueuse des droits de chacun est la meilleure réponse à la crise de confiance.
La séquence actuelle, aussi troublante soit-elle, peut être l’amorce d’un sursaut. Si le gouvernement réussit à transformer cette crise en opportunité de refonte, de transparence et de justice, Maurice pourra peut-être renouer avec son image de modèle démocratique. Mais cela exige courage politique, rigueur institutionnelle et volonté de rupture. Car, au bout du compte, une juridiction ne se juge pas seulement à la solidité de ses lois, mais à la manière dont elle les applique – y compris, et surtout, aux puissants.
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