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Signature du traité
Chagos : Un accord historique, un tournant diplomatique
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Signature du traité
Chagos : Un accord historique, un tournant diplomatique

Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a annoncé jeudi la signature d’un traité historique entre Maurice et le Royaume Uni, reconnaissant officiellement la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia. Cette reconnaissance, attendue depuis près de six décennies, met un terme à un différend post-colonial de longue date, mêlant enjeux de décolonisation, intérêts militaires et revendications identitaires.
Vendredi, lors d’une conférence de presse solennelle à la New Government House, en présence de parlementaires, ministres et figures de la communauté chagossienne, Ramgoolam a salué «un moment exceptionnel dans l’histoire contemporaine du pays», soulignant que «l’exil des Chagossiens est désormais terminé».
Le traité, fruit de longues négociations, prévoit également le versement par Londres d’une allocation annuelle de 165 millions de livres sterling (environ Rs 10 milliards) à Maurice pendant 28 ans. Une aide que Ramgoolam a jugée secondaire face à l’importance symbolique de la souveraineté retrouvée : «Ce que nous avons gagné, c’est la dignité nationale.»
L’excision des Chagos en 1965, peu avant l’indépendance de Maurice, avait été imposée par Londres sous la menace de ne pas accorder l’autonomie. En échange, Maurice avait obtenu quatre conditions spécifiques, dont les droits de pêche, la navigation et l’accès aux ressources naturelles. Depuis, les gouvernements successifs mauriciens, sous SSR, SAJ puis Ramgoolam, ont multiplié les démarches pour la restitution.
La Cour internationale de justice (CIJ) avait donné raison à Maurice en 2019, qualifiant la séparation des Chagos d’illégale. L’Assemblée générale de l’ONU avait ensuite exigé que le Royaume-Uni restitue l’archipel à Maurice «dans les plus brefs délais».
Avec ce traité, le British Indian Ocean Territory (BIOT), entité administrative créée unilatéralement par Londres pour gérer les Chagos, est désormais dissous. «Le BIOT est mort», a déclaré Ramgoolam. Le traité prévoit la création d’un comité conjoint Royaume-Uni/ Maurice pour la gestion de la base militaire de Diego Garcia, avec les États-Unis en tant qu’observateurs.
Washington a salué l’accord par la voix du secrétaire d’Etat Marco Rubio, évoquant «un modèle de résolution pacifique de différends historiques complexes». Pour les États-Unis, Diego Garcia conserve une importance stratégique majeure dans l’architecture de sécurité de l’Indo-Pacifique, en pleine recomposition géopolitique.
Malgré l’accueil favorable d’une majorité d’acteurs politiques, le Premier ministre n’a pas manqué de critiquer sévèrement l’ancien gouvernement dirigé par Pravind Jugnauth. Il l’a accusé d’avoir tenté de monnayer la souveraineté mauricienne contre un soutien financier, à des fins électoralistes: «Pravind Jugnauth finn aksepte larzan san get prinsip souverennte.»
Paul Bérenger, actuel Premier ministre adjoint, a salué l’accord tout en rappelant qu’il ne résoudra pas les difficultés économiques structurelles du pays : «Rs 10 milliards ne changent rien de fondamental à nos problèmes budgétaires.» Il a toutefois annoncé la création d’un comité de développement pour l’archipel, ainsi qu’une visite officielle imminente aux Chagos, incluant une délégation gouvernementale et des représentants chagossiens.
Aide britannique
L’Attorney General Gavin Glover a précisé que les trois premières années de l’accord verront l’aide britannique entièrement dédiée au soutien budgétaire. À partir de la quatrième année, une part (120 millions GBP) sera affectée à l’usage et à l’occupation de l’archipel, et 45 millions au budget de l’État. Un réexamen du dispositif est prévu à terme.
Navin Ramgoolam a insisté sur la dimension «écologique, humaine et historique» du retour des Chagos sous souveraineté mauricienne. Il a évoqué des projets de développement durable, la restauration des écosystèmes et la participation active des Chagossiens au futur du territoire.
L’accord intervient dans un contexte géopolitique tendu dans l’océan Indien. L’importance stratégique de Diego Garcia s’est accentuée avec la montée des tensions au Moyen-Orient, le positionnement naval de la Chine et la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, le Royaume-Uni et les États-Unis ont perçu dans l’accord une manière de sécuriser leurs intérêts militaires tout en apaisant les critiques internationales sur la légitimité de leur présence.
L’Inde, également mentionnée dans l’accord comme un «partenaire stratégique», renforce ainsi sa position régionale, après avoir déjà investi à Agaléga. Ce rapprochement triangulaire (Maurice–Royaume-Uni États-Unis, avec le soutien de l’Inde) illustre une nouvelle architecture régionale de coopération, équilibrant souveraineté, sécurité et diplomatie.
Si la souveraineté est désormais acquise, plusieurs zones d’ombre persistent. La possibilité d’un retour massif des Chagossiens sur les îles reste limitée, notamment en raison de la présence militaire continue sur Diego Garcia. Les modalités précises de réinstallation sur certaines îles (hors Diego Garcia) devront être définies dans les mois à venir.
La communauté chagossienne, répartie entre Maurice, le Royaume Uni et les Seychelles, affiche des positions divergentes : certains souhaitent un retour, d’autres exigent des compensations renforcées. L’avenir de cette diaspora reste au cœur des débats.
Enfin, la société civile mauricienne appelle à une gestion transparente et inclusive des ressources et projets à venir dans l’archipel. Des voix s’élèvent pour demander un mécanisme indépendant de suivi, afin d’éviter que cette victoire ne se transforme en opportunité manquée.
Réactions
Jocelyn Chan Low : «On a obtenu ce qu’il était possible d’obtenir»
Jocelyn Chan Low, historien, politologue et Associate Professor, propose une lecture approfondie de l’accord : «Le gouvernement britannique a garanti l’utilisation de la base militaire. Pour eux, c’est une grande victoire». Il cite des clauses qui sont «binding» : par exemple, Maurice ne peut rien construire sans l’accord de l’Angleterre. De plus, aucune opération de la base ne peut pas être «undermined». «Il y a plusieurs choses que nous ne pouvons pas faire sans l’aval de l’Angleterre», ajoute-t-il.
Jocelyn Chan Low précise : «La souveraineté, nous l’avons en principe, mais en même temps, il y a énormément de contraintes dans l’exercice de cette souveraineté. Maurice n’a pas toute la liberté, car l’Angleterre détient ce droit de regard.» Il estime toutefois qu’en matière d’accord, «Maurice n’aurait pas pu faire mieux».
Jocelyn Chan Low offre une réflexion supplémentaire : «Le fait d’avoir une souveraineté déléguée permettrait à Maurice, en cas de conflit à l’échelle internationale, de rester en dehors des hostilités.» Il enchaîne : «Si on n’avait pas accepté certaines contraintes, nous n’aurions certainement pas obtenu la souveraineté.»
Il résume ainsi l’esprit de l’accord : «On a obtenu ce qu’il était possible d’obtenir. La diplomatie n’est jamais idéale. Elle est faite de give and take ; elle est faite de compromis.»
Jean-françois Nellan : «Les droits des chagossiens continuent à être bafoués»
Jean-François Nellan de l’organisation Chagossian Voices estime que le traité est une trahison : «Le traité est un betrayal du gouvernement contre le peuple chagossien.» Il explique que l’exil forcé durant la période 1960-1970 s’était fait sous le gouvernement travailliste mauricien et britannique et qu’aujourd’hui, l’histoire se répète : «Ce sont les mêmes partis politiques qui ignorent à nouveau le droit humain des Chagossiens.»
Il ajoute : «Comme un peuple autonome, les Chagossiens ont le droit de décider de leur futur et de celui de leur pays. Même les Nations unies avaient affirmé, lors de leur résolution, que les droits des Chagossiens doivent être respectés. La Cour internationale de justice a fait la même recommandation. Mais les droits des Chagossiens continuent à être bafoués.»
Il émet aussi des réserves au sujet du Trust Fund : «Comment est-ce que cela va aider les Chagossiens? Est-ce que ce sont les Mauriciens qui vont décider comment le Trust Fund sera utilisé ? Où est la voix des Chagossiens dedans ?» En ce qui concerne le droit de «resettlement», Jean-François Nellan estime que cela n’est pas faisable : «Personne n’est venu de l’avant avec un plan, ni comment cela va se passer. C’est une trahison totale au niveau des deux gouvernements envers le peuple chagossien.»
La prochaine étape selon Jean-François Nellan : «Discuter avec la communauté chagossienne de leur futur et faire pression sur les deux gouvernements pour qu’ils respectent les droits des Chagossiens.»
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