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Percy Yip Tong : «C’est parce que le gandia est illégal que les gens se tournent vers la drogue dure sur le marché noir»

2 mars 2025, 15:45

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Percy Yip Tong : «C’est parce que le gandia est illégal que les gens se tournent vers la drogue dure sur le marché noir»

Percy Yip Tong plaide pour une nouvelle approche de la politique antidrogue à Maurice. Face à la prolifération des drogues synthétiques, il estime que la dépénalisation du cannabis permettrait de réduire les risques et de couper les liens entre les consommateurs et les réseaux criminels.

Percy Yip Tong, vous êtes directeur artistique et aussi l’un des fondateurs du Collectif Urgence Toxida et vous avez un avis partagé sur la dépénalisation…

Effectivement, on me connaît surtout à travers Kaya, mais aujourd’hui, à 65 ans, j’ai l’impression qu’on oublie un peu ce que j’ai mis en place avec des amis engagés comme Danny Philippe, Nicolas Ritter ou encore Natalie Rose. Nous avons lancé des mesures de réduction des risques, comme la distribution de méthadone et l’échange de seringues, avec le Collectif Urgence Toxida.

Aujourd’hui, quand on regarde la situation de la drogue à Maurice, on a l’impression que c’est pire. L’une des solutions proposées est la dépénalisation du cannabis. Qu’en pensez-vous ?

Il faut d’abord comprendre que c’est une mesure de réduction des risques. On ne dit pas que c’est bien ou mal, mais que cela permet de limiter les dégâts liés à la drogue synthétique. À une époque, Maurice était considéré comme l’un des pays ayant la plus forte consommation d’héroïne par habitant. C’était un fait prouvé. L’héroïne et le brown sugar étaient omniprésents, mais au moins, ils étaient limités aux villes et aux cités. Aujourd’hui, la drogue synthétique est partout, dans tout le pays, et la situation est encore plus grave.

Pensez-vous qu’éradiquer la drogue soit impossible ?

Comme je le dis toujours, tout politicien qui affirme pouvoir éradiquer complètement la drogue ment. Depuis 57 ans d’indépendance, toutes les politiques antidrogue ont échoué. Il faut être réaliste. Une société sans drogue, c’est une utopie. Même dans les pays où la peine de mort est appliquée pour le trafic de drogue, le problème persiste. On peut seulement réduire les risques. La drogue est avant tout un problème de santé, pas de criminalité. À Maurice, si on met en prison une personne qui fume du gandia, on l’envoie à “l’université de la drogue”. Avant, le gandia était vu comme la drogue des pauvres et l’opium comme celle des riches.

Quel est votre constat personnel aujourd’hui ?

C’est évident : la drogue synthétique gagne du terrain et c’est très inquiétant. Il y a de plus en plus de substances sur le marché, et le nombre de consommateurs explose. Aujourd’hui, la drogue synthétique coûte moins cher qu’un pain ou une bouteille de bière ou 1 minn bwi. C’est un problème économique et commercial. Le gandia est plus cher et plus difficile d’accès que la drogue synthétique, et c’est bien ça le problème.

Selon vous, qu’est-ce qu’une drogue ?

C’est une addiction, qu’elle soit physique ou psychologique. Un téléphone peut être une drogue, tout comme l’alcool. Ce besoin de scroller dès qu’on se réveille, c’est aussi une forme de dépendance. Il faut différencier les drogues dures et les drogues douces. Une drogue dure provoque une telle souffrance qu’elle pousse quelqu’un à voler chez lui, voire chez sa propre mère. Ce n’est pas naturel qu’une personne en arrive à voler ses proches. Une drogue douce, elle, entraîne une addiction, mais sans cette souffrance extrême. Le gandia est une drogue douce, une drogue de paix. Il apaise et détend, contrairement à l’alcool, qui excite et peut provoquer des accidents de la route. Si on regarde les pays qui ont légalisé le cannabis, ils ne sont pas devenus des nations de fous. Ce n’est pas parce qu’une substance est légale que tout le monde va se ruer dessus. Je ne fais pas l’apologie du gandia, mais la prohibition fait plus de mal que la légalisation. Le vrai danger, c’est l’abus de toutes les drogues.

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Comment peut-on réduire les risques liés à la drogue ?

Il y a trois axes principaux :

• Réduire l’offre, c’est-à-dire s’attaquer aux gros trafiquants et non aux petits vendeurs.

• Réduire la demande, en offrant aux jeunes d’autres alternatives, comme plus de loisirs et d’opportunités culturelles. L’argent généré par la vente légale du cannabis pourrait servir à financer ces projets.

• Réduire les risques, car je suis convaincu que le gandia fait partie des solutions de réduction des risques. Il permettrait d’atténuer l’impact des drogues dures sur la société.

En tant que directeur artistique, ressentez-vous les effets de cette situation dans votre domaine ?

Bien sûr. J’ai plus de problèmes avec les artistes qui consomment de l’alcool qu’avec ceux qui fument du gandia. Un artiste alcoolique sera souvent en retard ou incontrôlable. En 2025, il est temps de réfléchir scientifiquement aux politiques antidrogue qui ont fonctionné ailleurs.

Que répondez-vous à ceux qui sont contre la dépénalisation ?

C’est une réaction normale. À une époque, j’étais moi-même contre. C’est en allant en Europe que ma vision a changé. Je connais des gens qui étaient opposés et qui, aujourd’hui, sont favorables à la dépénalisation. La plupart des consommateurs de gandia ne se tournent pas vers les drogues dures. Sinon, on aurait interdit la cigarette depuis longtemps ! La majorité des fumeurs de cigarettes ne finissent pas par consommer du gandia. C’est parce que le gandia est illégal qu’une personne doit aller sur le marché noir, et c’est là qu’elle entre en contact avec d’autres substances bien plus dangereuses.

Un dernier mot ?

Je veux terminer sur une phrase marquante. Aujourd’hui, les chansons de Kaya sont toujours écoutées, ses messages toujours vivants. Il est mort parce qu’il avait avoué avoir fumé un joint sur scène. On l’a enfermé avec les plus grands criminels à Alcatraz. Aujourd’hui, on continue d’écouter Kaya, mais pourquoi ne pas écouter son dernier message ? Il disait : Legaliz gandia.

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