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Hippisme

Cadavres équins : Qui s’en charge désormais ?

14 mai 2025, 13:00

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Cadavres équins : Qui s’en charge désormais ?

L’incinérateur de Petit-Gamin, qui fonctionne au diesel, est d’un petit format mais a une capacité de 2 000 kg

Aussi tragique soit-il, un incident demeure toujours possible dans le monde des courses hippiques. L’histoire de l’industrie mauricienne en témoigne : des chevaux ont déjà dû être euthanasiés, victimes de blessures graves ou terrassés par une colique fatale. Mais une question se pose aujourd’hui avec une acuité nouvelle : que faire des dépouilles en cas de drame ?

Le centre Guy Desmarais, où le Mauritius Turf Club (MTC) procédait autrefois à l’inhumation des chevaux, a été cédé. Quant à l’incinérateur de Petit-Gamin, il aurait été mis à l’arrêt. Et même si l’on envisageait une remise en fonction, encore faudrait-il surmonter un autre obstacle : l’installation relève d’un centre privé. Aucun incinérateur dédié aux équidés ne semble aujourd’hui disponible sur le territoire. Des revendeurs mauriciens seraient prêts à en fournir, pour un minimum de Rs 10 millions, mais pas sans les autorisations requises.

Chaque année, une soixantaine de chevaux de compétition sont condamnés à l’euthanasie – un chiffre que révélait en 2021 Benoît Halbwachs, alors secrétaire du MTC. À l’époque, le protocole post-mortem était clair : les dépouilles étaient inhumées au centre Guy Desmarais, à Floréal. Une solution jugée praticable, bien qu’imparfaite. Car le corps d’un cheval, masse imposante de chair et d’os, met un temps considérable à se décomposer. Pis encore, le site jouxte une rivière.

Aujourd’hui, ce pan discret mais crucial de la mécanique hippique vacille. Le centre de Floréal a changé de mains. Et l’on imagine mal les nouveaux propriétaires – même dans l’éventualité où ils accepteraient de louer des boxes au MTC – consentir à perpétuer cette pratique incommodante. L’enfouissement des cadavres n’est pas sans risques : il ouvre la porte à une possible contamination du sol, des nappes phréatiques, voire des cours d’eau. Les corps des animaux, en se décomposant, peuvent relâcher des agents pathogènes. Ils attirent aussi charognards et nuisibles, vecteurs de maladies transmissibles tant à l’homme qu’aux bêtes domestiques. À cela s’ajoute le spectre de la pollution : effluves pestilentiels, infiltration de liquides organiques, déséquilibre biologique…

La disparition du centre Guy Desmarais comme lieu d’inhumation révèle ainsi un problème plus vaste, plus profond, que l’on aurait préféré ignorer : celui du traitement digne et sécurisé des corps, lorsque l’élégance des champs de courses cède brusquement la place au silence des morts. Le vide laissé par ces infrastructures soulève une inquiétude grandissante – car la mort, inévitable compagne de la vie, exige aussi qu’on lui offre une réponse digne.

Global Equestrian Ltd (GEL), société dirigée par Jean Michel Lee Shim, a procédé à l’installation d’un incinérateur sur le site de Petit-Gamin. L’équipement, de la marque Addfield, a été importé en 2023. Selon le dépliant fourni par GEL, l’incinérateur est certifié Defra Approved, ISO 9001 et ISO 14001. L’appareil affiche une capacité de 2 000 kg et une vitesse de combustion de 50 kg par heure. Il est conçu pour accueillir simultanément deux chevaux.

Rappelons que, dès 2024, des voix officielles s’étaient élevées contre l’installation de l’incinérateur à Petit-Gamin. Fabrice David et Joanna Bérenger, junior ministers à l’Agro-industrie et à l’Environnement, avaient dénoncé l’absence de permis d’Environmental Impact Assessment (EIA) pour cet équipement. Une source proche de l’actuel régime s’interroge sur les circonstances dans lesquelles GEL a pu tout d’abord importer un tel équipement sans détenir de permis EIA, comme l’exigent les procédures environnementales en vigueur.

Joanna Bérenger s’était montrée particulièrement critique quant au manque de planification autour de l’installation. «Voyez comment ça dégage une fumée noire ! Est-ce que cela ne représente pas un danger pour les employés et le voisinage ?», s’était-elle indignée lors d’une intervention publique. Selon un employé du centre, l’émission de fumée noire observée à Petit-Gamin serait le résultat d’un incident technique mineur : une simple feuille de tôle mal positionnée. «Tout objet exposé à une forte chaleur devient noir», a-t-il déclaré, relativisant ainsi la gravité de l’épisode.

À ce jour, aucun incinérateur pour chevaux n’est officiellement en fonctionnement à Maurice. Christian Lafraisière, directeur de Steam House et ancien membre du MTC, affirme pouvoir fournir ce type d’équipement, mais uniquement à un détenteur de permis en bonne et due forme. Il précise également avoir déjà vendu des incinérateurs destinés à de plus petits animaux au ministère de l’Agro-industrie. Selon lui, un incinérateur adapté aux chevaux coûterait aux alentours de Rs 10 millions.

Reste à savoir, désormais, quelle voie sera empruntée. Le MTC, fragilisé par deux années d’inactivité et des finances exsangues, pourra-t-il réellement envisager l’acquisition d’un incinérateur dont le coût avoisine les Rs 10 millions ? Le simple énoncé de cette somme suffit à mesurer l’ampleur de l’obstacle.

Faut-il alors se tourner vers l’État ? Le ministère de l’Agro-industrie, sous la houlette d’Arvin Boolell, prendra-til les rênes de ce dossier sensible ? Dans le silence pesant des institutions, une certitude s’impose peu à peu : l’équitation mauricienne, si elle souhaite s’aligner sur des standards à la fois éthiques et écologiques, ne pourra plus se contenter de solutions temporaires ou improvisées ou comme avec GEL, sans permis EIA. La question n’est plus seulement technique ; elle est aussi morale. Et elle appelle une réponse claire.

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