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Réforme de la pension

Ashvin Gudday : «À 60 ans, on a le droit de souffler, pas de lutter pour survivre»

14 juillet 2025, 08:00

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Ashvin Gudday : «À 60 ans, on a le droit de souffler, pas de lutter pour survivre»

Ashvin Gudday, négociateur de la General Workers Federation.

Le négociateur de la General Workers Federation réaffirme la détermination du mouvement syndical à défendre le droit à une pension universelle dès 60 ans. Malgré l’«Income Support» de Rs 10 000 annoncé, il déplore le manque de dialogue des autorités, qui n’a fait qu’exacerber la colère sociale…

Certains avancent que l’espérance de vie a augmenté et que l’âge de la retraite doit suivre. Que leur répondez-vous ?

Je leur réponds que la retraite à 60 ans est un droit acquis et un pilier de la pension universelle. Comparer Maurice à d’autres pays n’a pas de sens : ailleurs, les horaires sont plus souples, les conditions de travail moins pénibles. Ici, on travaille 40 à 45 heures par semaine, souvent dans des environnements difficiles – à l’extérieur, avec la chaleur, l’humidité et la pression atmosphérique qui pèsent sur le corps. Arrivés à 60 ans, beaucoup sont physiquement usés. C’est un âge charnière où il faut ralentir, se soigner et profiter un minimum de la vie après des années de dur labeur.

L’espérance de vie à Maurice tourne autour de 72 à 73 ans. Amener la retraite à 65 ans, c’est voler à ces travailleurs le peu de temps qu’il leur reste pour vivre dignement. Ensuite, il y a la réalité économique. De nombreuses personnes touchent le salaire minimum. À 60 ans, les besoins en santé augmentent, les médicaments ne sont pas toujours disponibles gratuitement et le coût de la vie continue de grimper. Maintenir la retraite à 60 ans est une question de justice sociale, de reconnaissance et de respect envers ceux qui ont tant donné.

Les avantages aux parlementaires à la retraite créent un vrai malaise dans la population. Pourquoi est-ce le symbole d’une injustice sociale criante ?

C’est le summum de l’injustice sociale ! En période de crise, on demande au peuple de faire des sacrifices : on reporte l’âge de la retraite, on réduit les aides, pendant que les prix explosent. En même temps, des parlementaires ayant fait à peine deux mandats peuvent toucher jusqu’à Rs 96 millions, s’ils vivent 30 ans après leur carrière, alors qu’ils n’auront contribué qu’environ Rs 2 millions. C’est révoltant.

Un Mauricien ordinaire cotise toute sa vie à travers les impôts, la TVA et se voit privé de sa pension de Rs 15 000 à 60 ans. Il y a 550 000 travailleurs du privé, des milliers de fonctionnaires, d’indépendants, des gens qui vivent dans la précarité… et c’est à eux qu’on demande de se serrer la ceinture ? Ce décalage est indécent, d’autant plus que les salaires parlementaires sont très élevés comparés à ceux d’autres pays, malgré un PIB modeste et une population de 1,3 million d’habitants. On ne peut pas continuer à creuser les inégalités au sommet tout en appelant à la solidarité à la base. Il est temps d’instaurer un salaire maximum, de garantir une redistribution équitable des richesses, et surtout de faire de la politique avec intégrité. Un ami me disait : avant, un politicien entrait pauvre et sortait pauvre. Aujourd’hui, il entre en Tarzan et sort en Amitabh Bachchan…

Le gouvernement martèle que la pension universelle n’est plus viable. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Gouverner, c’est prévoir. Le gouvernement a fait des promesses électorales et il devait en mesurer les conséquences. Lorsqu’on dirige un pays, on ne peut pas se contenter de slogans. Il faut une vision, une compréhension fine de notre réalité économique et sociale. Aujourd’hui, on s’alarme d’une dette publique à 90 % du PIB ? Mais cette situation ne date pas d’hier. On n’a pas besoin d’attendre Moody’s pour ouvrir les yeux.

On refuse qu’on touche au droit acquis de la pension universelle. On prétend qu’elle n’est pas contributive ? Pourtant, les citoyens cotisent indirectement, chaque jour, via les taxes. Il faut revoir le train de vie de l’État : pensions des ministres, poste de vice-président, dépenses superflues, per diem, achats de luxe…

Il y a un sérieux ménage à faire. Chaque année, le rapport de l’Audit dénonce un gaspillage systémique. Les ministères doivent devenir cost-effective. On parle d’éducation et de santé gratuites, mais beaucoup se tournent vers le privé, faute de qualité.

L’argent public doit être mieux utilisé. Il est temps d’introduire une Fiscal Responsibility Act, d’abolir les pratiques clientélistes dans l’attribution des contrats publics, de renforcer les pouvoirs du Public Accounts Committee pour un meilleur contrôle des dépenses. Enfin, il faut taxer davantage les grandes fortunes, relever la corporate tax et exiger une contribution plus importante du patronat. Il y a des leviers à activer pour préserver la pension universelle, sans pénaliser les plus vulnérables. Le ciblage n’est pas la solution.

Quand on estime le salaire minimum vital à Rs 20 000, comment justifier un «Income Support» de Rs 10 000 à 60 ans ?

Ce n’est pas une question de savoir si c’est raisonnable ou pas : nous rejetons tout simplement le principe même de l’Income Support. Nous sommes contre le ciblage de la pension universelle à 60 ans. Point final. Mais analysons les faits : Rs 10 000, c’est bien en dessous du salaire minimal de Rs 17 110. Même avec la CSG Allowance, ce n’est qu’un pansement sur une plaie béante. Le ministre lui-même a dit que 80 000 personnes atteindront 60 ans dans les cinq prochaines années. Or, selon ce système, seules 37 000 en bénéficieront. Les autres, pour quelques roupies de plus, seront exclues. C’est inacceptable. Où est la dignité ? Vieillir ne devrait pas rimer avec précarité. Voilà pourquoi nous disons non à la retraite à 65 ans et au ciblage.

Vous avez déjà mobilisé des milliers de personnes dans la rue. Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour défendre ce droit à une retraite décente ?

Nous irons aussi loin qu’il le faudra. La mobilisation est permanente. Nous poursuivons le travail de terrain, la pédagogie et à fédérer largement. Ce combat, nous le mènerons jusqu’à ce que le gouvernement revienne sur sa décision. Entendre le Premier ministre balayer notre mobilisation en parlant de «petit groupe bruyant sur Internet» est une insulte à tous ceux qui souffrent. La réalité est tout autre : chaque jour, nous recevons des appels, des témoignages. Travailleurs du privé, fonctionnaires, femmes au foyer, retraités… tous ceux qui se sentent trahis.

Cette réforme brutale a créé un véritable choc psychologique. Le manque total de dialogue est inacceptable. Maurice s’est construit sur un modèle d’État-providence : le gouvernement ne peut pas tourner le dos à ses citoyens. Nous sommes prêts à dénoncer d’autres mesures injustes : taxation des voitures électriques, cadeaux fiscaux aux plus riches, mesures floues sur les high-income earners. La résistance dépasse la retraite et s’ancre dans une exigence de justice sociale. Ce mouvement ne faiblira pas.

Quelles seront les prochaines étapes de la plateforme syndicale dans ce combat ? Une nouvelle mobilisation est-elle prévue ?

Oui, la mobilisation se poursuit. Après notre succès à Port-Louis et le lancement de la pétition à Rose-Hill, nous tiendrons un forum-débat et une assemblée des délégués le 30 juillet. Un panel sera constitué pour poursuivre les discussions. Et surtout, une grande marche est prévue le 9 août. Les lieux exacts des deux événements seront bientôt communiqués. La pression ne retombera pas.

Les jeunes générations semblent moins concernées, en apparence. Quel rôle peuvent-elles – et doiventelles – jouer dans cette lutte ?

Les jeunes ont un rôle essentiel à jouer. Nous les encourageons à participer aux mobilisations, à s’exprimer, à prendre la parole. Lors des dernières élections, leur engagement a été visible : ils ont voté massivement contre l’autoritarisme, notamment après le blocage des réseaux sociaux. Leur colère s’est transformée en action citoyenne. N’oublions pas que c’est la jeunesse qui a permis, en mai 1975, d’obtenir la gratuité de l’éducation. Aujourd’hui, ils sont confrontés à un exode de talents, pendant que les côtes sont bétonnées pour des milliardaires étrangers. Beaucoup n’y croient plus : ils voient les mêmes figures recyclées lors des nominations, sans perspectives de postes à responsabilités.

Et quand on repousse l’âge de la retraite à 65 ans, on ferme la porte à la relève. Il y a aussi un décalage entre la formation et l’emploi qu’il faut corriger, en s’inspirant de modèles performants comme dans les pays scandinaves. Éducation et politique sont intimement liées. Enfin, comprenons leur prudence : comment s’engager politiquement quand on vit dans la précarité ? Si l’État veut des jeunes impliqués, il doit d’abord leur garantir un avenir digne. C’est donnant-donnant.

Certains militants évoquent une grève de la faim pour protester contre la retraite à 65 ans. Quelle est votre position sur ce mode d’action ?

La grève de la faim est un acte noble, un engagement fort. C’est le choix de mettre sa propre vie en jeu pour une cause collective. J’ai un profond respect pour celles et ceux qui s’y engagent, à l’image de Gandhi ou des syndicalistes mauriciens qui ont lutté, au péril de leur santé, pour le salaire minimum. Nous soutenons toute action pacifique pour dénoncer cette réforme injuste. Mais c’est regrettable d’en arriver là.

Ce débat aurait dû être précédé d’un vrai dialogue social. Une consultation nationale, réunissant experts, syndicats et société civile, aurait permis d’explorer d’autres solutions. En tant que plateforme syndicale, nous restons solidaires de tous ceux qui mènent ce combat. Nos luttes convergent : nous refusons la retraite à 65 ans, tout comme le ciblage. Nous exigeons le maintien de la pension universelle à 60 ans.

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