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Interview

Ashok Subron, ministre de l’Intégration sociale : «Une réforme du cadre réglementaire s’impose»

28 mai 2025, 11:00

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Ashok Subron, ministre de l’Intégration sociale : «Une réforme du cadre réglementaire s’impose»

Dans un contexte marqué par des violations graves dans certaines maisons de retraite, le ministère de l’Intégration sociale fait le point sur les actions entreprises et les réformes à venir pour assurer la protection des aînés.

🔵Face aux allégations de maltraitance au Fieldview Care Home, quelles sont les actions concrètes entreprises par votre ministère pour protéger les personnes âgées ?

Tout d’abord, les allégations portées contre le Fieldview Care Home ont profondément choqué de nombreux Mauriciens, y compris moi, ainsi que les officiers de mon ministère. Il s’agit d’accusations extrêmement graves, évoquant des abus sexuels sur deux résidentes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. En approfondissant l’examen de cette affaire, nous avons découvert que le Fieldview Care Home opérait de manière illégale. L’établissement avait fourni un faux numéro d’enregistrement (BRN), et percevait illégalement de l’argent auprès des résidents et de leurs familles.

Lors de ma visite sur place, j’ai constaté une situation absolument déplorable. Certains pensionnaires portaient des couches souillées depuis plusieurs jours, et vivaient dans un environnement infesté de puces et de punaises, dans un état de grande précarité. Ce constat met en lumière un problème grave et profond qui affecte notre société. Nous avons immédiatement pris des mesures pour protéger les victimes et veiller à ce que le présumé agresseur soit placé sous la responsabilité de la police ou d’autres institutions compétentes. L’ensemble des 42 résidents a été relogé dans des conditions plus décentes. Cette affaire a agi comme un signal d’alarme, nous incitant à mettre en œuvre une série de réformes indispensables.

Les maisons de retraite sont encadrées par la Residential Care Homes Act de 2003, promulguée en 2004. Un conseil est chargé d’octroyer les licences d’opération à ces établissements. Toute maison de retraite opérant sans autorisation s’expose à une amende de Rs 25 000 à Rs 100 000, ainsi qu’à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Des démarches légales ont été entamées. Une plainte a été déposée auprès du Central Crime Investigation Department et la Financial Crimes Commission a été saisie pour un éventuel cas de blanchiment d’argent. Par ailleurs, une lettre a été adressée au ministère du Travail afin d’examiner les conditions d’emploi sur le site, notamment pour vérifier la présence éventuelle de travailleurs non déclarés. Nous avons aussi relevé des manquements graves au niveau des dispositifs de sécurité incendie. Là encore, des mesures ont été prises.

L’enquête sur le Fieldview Care Home se poursuit. Au-delà des procédures judiciaires, nous avons également ouvert une enquête visant à déterminer si cet établissement – et potentiellement d’autres – aurait bénéficié de protections politiques. Nous avons pris la décision d’aller plus loin. La Protection of Elderly Persons Act comporte une disposition – l’article 9 – qui n’a jamais été proclamée. Cet article permettrait au ministère de solliciter un protection order en cas de maltraitance envers des personnes âgées. Nous estimons aujourd’hui qu’il est impératif de proclamer cette disposition afin de pouvoir intervenir rapidement dans des cas aussi graves que celui du Fieldview Care Home.

🔵Il est vrai que cette affaire a mis en lumière un problème bien plus profond. Comment l’État envisage-t-il désormais de gérer cette situation ?

Nous encourageons vivement la population à signaler tout cas de maltraitance. Un vaste processus d’inspection des maisons de retraite a été lancé. À ce jour, six établissements ont déjà été identifiés et une inspection a eu lieu ce lundi. Un comité ministériel s’est réuni hier pour examiner les rapports relatifs à ces maisons, qu’elles soient formellement mises en cause ou qu’elles opèrent dans l’illégalité. Il est important de rappeler que ces établissements accueillent des personnes particulièrement vulnérables, ce qui rend leur prise en charge à la fois délicate et complexe. Ce comité, placé sous la présidence du Deputy Prime Minister, réfléchit actuellement aux mesures à mettre en œuvre à moyen et long termes.

Le Residential Care Home Advisory Committee, prévu par la loi, fonctionnait jusqu’ici de manière ad hoc. Nous souhaitons désormais en faire une instance permanente. Il est également nécessaire de revoir les critères d’enregistrement des maisons de retraite, afin de mieux intégrer les réalités liées au vieillissement, notamment les maladies neurodégénératives. Le cas du Fieldview Care Home a mis en évidence que certaines personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer peuvent développer, selon l’Organisation mondiale de la Santé, des comportements désinhibés dus à des altérations neurologiques. Nous travaillons en parallèle à l’élaboration d’une nouvelle législation : l’Ombudsperson for Elderly Persons Act. Au sein du ministère, nous sommes pleinement conscients du besoin urgent de mettre en place une unité juridique dotée de capacités de poursuite. Actuellement, nous dépendons exclusivement de la police et des tribunaux pour engager des actions, ce qui limite notre réactivité.

Nous sommes aussi engagés dans une réflexion globale sur l’amélioration du système. Pour lutter efficacement contre les situations d’illégalité ou de maltraitance dans les maisons de retraite, nous envisageons une revalorisation progressive de l’allocation destinée aux aidants, comme le prévoit notre programme gouvernemental. De même, une hausse de l’allocation pour les personnes en situation de handicap sévère ou alitées est à l’étude. Nous souhaitons également élargir notre programme de visites à domicile. Actuellement réservé aux personnes âgées de 90 ans et plus, il pourrait être accessible dès 80 ans. Une meilleure formation descarers est également à l’ordre du jour. Il est essentiel de disposer d’aides-soignants qualifiés, formés et financés pour assurer la prise en charge des personnes alitées. Nous faisons tout notre possible pour permettre aux personnes âgées de rester au sein de leur famille aussi longtemps que possible, dans un cadre sécurisé et bienveillant.

Deux nouvelles maisons de retraite sont actuellement en construction, à Palma et à Flic-en-Flac. Ces projets, bien qu’annoncés sous un précédent gouvernement, n’avaient jamais été concrétisés. Nous envisageons également de louer des bâtiments qui pourraient être cogérés ou gérés directement par des organisations non gouvernementales reconnues pour leur engagement sur le terrain. La situation que nous vivons aujourd’hui met en exergue un enjeu majeur auquel notre pays doit se préparer : le vieillissement de sa population, avec tous les défis sociaux, médicaux et structurels que cela implique.

🔵Disposez-vous aujourd’hui de ressources humaines et financières suffisantes pour assurer un contrôle strict et efficace de ces établissements ?

À ce jour, 79 établissements sont en activité à Maurice sous licence du conseil, conformément à la loi en vigueur. Cela comprend 22 institutions caritatives et 57 maisons de retraite privées, accueillant 2 448 personnes âgées. Il est évident que cette question mérite une attention prioritaire, car elle touche au fondement même de notre société. Une société qui se respecte commence par respecter ses aînés. Certes, l’État traverse une crise financière, mais notre pays ne manque pas de ressources. Le problème ne réside pas dans la société mauricienne dans son ensemble, mais plutôt dans un système où, par exemple, certains profits échappent à l’impôt et où les plus fortunés ne s’acquittent pas toujours de leur juste part fiscale.

Il est donc impératif d’identifier des leviers d’action. Nous devons apprendre à mobiliser les ressources disponibles de manière plus efficiente, plus rigoureuse et plus responsable. Par ailleurs, nombre de nos compatriotes vivant à l’étranger – notamment en Angleterre ou dans d’autres pays – ont acquis une expérience précieuse dans ce domaine. Il serait judicieux de faire appel à ces compétences externes afin de bénéficier de leur savoir-faire, que ce soit pour améliorer la gestion des établissements ou pour contribuer à l’élaboration de politiques publiques mieux adaptées aux réalités du vieillissement. Si nous ne réagissons pas dès maintenant, nous courons le risque de devenir une société déshumanisée, voire barbare, incapable de protéger et de prendre soin de ses membres les plus vulnérables.

🔵Une réforme du cadre réglementaire encadrant les maisons de retraite est-elle à l’agenda du ministère ? Si oui, dans quel sens comptez-vous l’orienter ?

Oui, une réforme du cadre législatif régissant les maisons de retraite figure clairement parmi nos priorités. Nous envisageons de renforcer la loi, car même parmi les établissements légalement licenciés, de nombreux abus persistent. Ce que nous voulons, c’est faire de ces lieux des espaces empreints de respect, où nos aînés sont traités avec humanité et dignité. Il est essentiel d’y instaurer une culture de compassion. N’oublions pas que les personnes âgées que nous voyons aujourd’hui seront, demain, ce que nous deviendrons.

Depuis l’éclatement du scandale autour du Fieldview Care Home, de nombreux Mauriciens ont pris contact avec nous. Certains ont voulu témoigner, d’autres exprimer leur indignation ou offrir leur aide. Nous leur en sommes profondément reconnaissants. Cela témoigne de l’émergence d’une conscience collective autour de la question du vieillissement et du traitement réservé à nos aînés. Malheureusement, sous les régimes précédents, les personnes âgées ont trop souvent été réduites à un «outil électoral». Or, il ne saurait être question de les considérer uniquement comme des cibles politiques en période électorale. Il est grand temps d’adopter une politique nationale, cohérente, structurée et durable, fondée sur le respect, la reconnaissance et la solidarité intergénérationnelle.

Deux phénomènes sociaux viennent aujourd’hui aggraver la situation. D’une part, nous assistons à une transition progressive du modèle familial étendu vers la famille nucléaire, ce qui affaiblit les structures traditionnelles de soutien. D’autre part, de nombreux Mauriciens quittent le pays pour s’installer à l’étranger, laissant derrière eux non seulement des maisons vides, mais surtout des parents et des grands-parents souvent livrés à eux-mêmes, sans encadrement adapté. Il est donc essentiel d’identifier les véritables causes des dérives actuelles. Il ne suffit plus de gérer les conséquences visibles ; il faut s’attaquer aux racines profondes de la prolifération des établissements illégaux et des cas de maltraitance. Une réforme du cadre réglementaire s’impose comme une réponse incontournable à ces enjeux systémiques.

🔵Envisagez-vous de renforcer la formation du personnel, notamment sur les principes de bientraitance et de respect de la dignité des résidents ?

Absolument. Compte tenu du vieillissement rapide de la population – avec environ 270 718 personnes âgées à Maurice et 6 154 à Rodrigues –, il est devenu impératif de revoir en profondeur nos stratégies et d’élaborer une politique nationale ambitieuse et cohérente en matière de soins aux personnes âgées. Les besoins évoluent et il est essentiel de mettre en œuvre des mesures concrètes pour garantir le bien-être de cette population. Cela passe notamment par un meilleur soutien aux familles qui assurent les soins à domicile, la création de structures d’accueil sûres, humaines et adaptées, ainsi que la présence de soignants correctement formés, tant sur le plan médical que psychosocial.

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