Publicité

Rama Valayden « Je suis satisfait que la peine capitale n’ait pas figuré dans le discours présidentiel »

6 juillet 2010, 05:34

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

¦ Rama Valayden, vous avez occupé pendant cinq ans les fonctions d’ «Attorney General». Quel est le bilan de votre passage à ce poste ?

Premièrement, sans tomber dans la complaisance, je dirai que c’est un bilan très fl atteur. Nous avons jeté les bases de la Law Reform Commission qui est devenue et qui continuera à être un élément important dans la réflexion des lois.

Souvent on pense qu’il faut plus légiférer, qu’il faut réagir à un problème en légiférant davantage et que pour plaire à une opinion – qui réagit elle-même à une information obtenue momentanément –, il faut proposer davantage de lois répressives. En revanche, la Law Reform Commission siègeant à plein temps, avec un bureau et des employés compétents, donne une dimension bien plus professionnelle, car là, les propositions de loi seront rédigées après que les opinions des autres ont été écoutées,  analysées et débattues.

Deuxièmement, le Judicial Hub permet de faire de Maurice un centre international d’arbitrage. En même  temps, j’ai pu convaincre le Privy Council de venir siéger à Maurice, ce qui procure une dimension internationale à notre pays de plus, la crédibilité de notre système judiciaire en est amplifiée. Troisièmement, nous avons entrepris l’ouverture des professions aux cabinets d’avocats internationaux  dont le nombre, environ 15 actuellement, est amené à augmenter dans le futur.

Quatrièmement, nous avons revisité les lois sur les notaires, avocats et avoués. Aujourd’hui, les  institutions qui gèrent ces professions libérales sont devenues financièrement autonomes, leur donnant  ainsi plus de discipline. Nous avons donné les moyens à la cour d’avoir un one-line budget, c’est-à-dire que l’exécutif ne contrôle plus le judiciaire. Le bureau du Director of Public Prosecution  est devenu indépendant de celui de l’Attorney General avec un budget séparé. Voilà dans les grandes  lignes, il y a d’autres réalisations comme l’abolition de la dette civile, la cour familiale et la cour d’assises à plein temps, la distribution gratuite de la Constitution.

Enfin, j’ajouterai qu’en tant qu’Attorney General, j’ai représenté le gouvernement et j’ai été le porte-parole de la République. En l’espace d’une année, deux sites ont été classés au patrimoine mondial de l’United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO). Les lois sont déjà préparées au sujet de la High Court of Appeal la libéralisation des huissiers et d’autres réalisations encore s’ajoutent à la liste qui est longue.

¦ Votre opposition à la peine de mort est connue vous êtes également perçu comme un libéral en matière de réinsertion. Comment avez-vous vécu vos derniers mois au poste d’«Attorney General», alors que vos partenaires politiques évoquaient le rétablissement de la peine de mort et promettaient de durcir les lois ?

Les derniers mois ont été diffi ciles. Cependant, en ce qui concerne la peine de mort, par mes  convictions, j’ai renforcé le respect des autres vis-à-vis de moi. Tout le monde sait que je suis un  abolitionniste convaincu. On ne change pas et, sur ce point, j’emporterai mes convictions avec moi en quittant cette Terre. Par contre, quand vous êtes membre du cabinet, vous avez un devoir de solidarité.

N’oubliez pas que j’ai voulu apporter la révision des prisons, cela a causé un tollé contre ma personne, nous obligeant à reculer. La loi sur l’avortement également est déjà préparée. Le sexual offences bill et la loi sur le marital rape ont aussi provoqué un tollé politique, me visant personnellement.

J’ai toujours eu le courage de mes idées et j’ai d’ailleurs traité certaines personnes de tartuffes.

¦ La figure tutélaire du Parti mauricien social démocrate (PMSD), Gaëtan Duval, a toujours été opposée à la peine de mort. Quelle posture adopteriez-vous si, d’aventure, comme il l’a annoncé, le gouvernement rétablissait la peine capitale ?

Avant un éventuel rétablissement de la peine de mort, le PMSD mènera contre celle-ci un combat qui  dépassera le cadre même du PMSD. Mon ami Xavier-Luc Duval m’a confirmé que ses convictions étaient  également celles du PMSD. Je suis, par ailleurs, satisfait que la peine capitale n’ait pas fi guré dans  le discours présidentiel.

¦ Comment avez-vous réagi à l’arrestation de Rama Sithanen ? En tant que militant des Droits de  l’Homme, comptez-vous vous engager davantage pour que la police fasse preuve de retenue en matière d’arrestation ? Fautil engager des réformes allant dans ce sens ?

J’ai été choqué par cette arrestation ! Comme à chaque fois, je suis choqué devant tout acte  arbitraire. En 2008, j’avais déjà demandé à la Law Reform Commission de préparer un rapport sur les Powers of Arrest and Bail. Ce rapport a été publié en avril 2008 c’est une étude qui existe et le Premier ministre est d’ailleurs très libéral sur ce point. Il faut, à mon avis, saisir cette occasion pour comprendre qu’une arrestation et une arrestable offence doivent fi gurer dans un agenda qui se doit d’être limitatif et inclure, par exemple, le terrorisme, la drogue et le trafic de drogue, le  meurtre, les homicides volontaires, l’assassinat, la trahison, le blanchiment d’argent, le kidnapping, le viol, la pédophilie. Mais cette liste doit être limitative.

¦ L’actualité, cette dernière semaine, a été dominée par l’évasion de la prison de  Grande-Rivière-Nord-Ouest (GRNO), les conditions d’incarcération faisant l’objet de nombreux  commentaires. Comment évaluez-vous la situation dans les prisons et quelles mesures d’urgence suggérez-vous ?

A mon avis, trois mesures doivent être mises en place rapidement. D’abord, il faut que ceux qui  obtiennent la libération sous caution selon la décision du magistrat, ceux dont la caution est  inférieure à Rs 5 000, soient libérés au bout d’un mois s’ils n’ont pas les moyens de s’en acquitter.

Les magistrats doivent jouer leur rôle. Certains ne comprennent pas la misère et sont loin de la réalité.

De cette manière, 300 à 400 personnes recouvreront la liberté. Avec une population carcérale réduite,  la tâche sera facilitée pour les gardes-chiourme. Toutefois, ce devrait être le cas pour de petits délits seulement lorsque ce sont des trafi quants, ils ont toujours les moyens de payer une caution, même si elle est très élevée. «Jail for the poor, bail for the rich». Fait à noter : tous les détenus de la prison de GRNO ont été libres de s’enfuir à un certain moment.

Seuls 34 ont décidé de le faire... Ceci explique cela... Ensuite, il faudrait introduire un système  d’Earn remission. Enfin, il faut que la prison soit réservée aux serious offenders et que l’on applique  le community service order.

¦ Au-delà des mesures d’urgence, pour parer au plus pressé, quelles réformes plus fondamentales  apporteriez-vous à l’univers carcéral si vous en aviez la responsabilité ? Si les prisons doivent être vraiment utiles à la société, quels objectifs doit-on y atteindre ?

Tout d’abord, je suis fi er d’avoir revu la condition des gardes-chiourme. Avec mon ami Vasant  Bunwaree, nous avons été les architectes d’une réforme qui a donné le droit aux gardeschiourmede se  syndiquer. Je suis persuadé que ce syndicat réussira et qu’il préparera la route à un syndicat des policiers.

Il faut cependant la création d’une commission pour réfl échir à la prison dans la société moderne, pour réfléchir à ce qu’est la punition et à quoi elle sert. Il faut pouvoir résoudre le gros problème de la double peine après avoir payé leurs dettes aux yeux de la loi, ceux qui sortent sont les victimes de la société. Il s’agit là d’une véritable wasted opportunity.

J’aurais aimé qu’il y ait un débat plus profond sur le rôle de la prison dans la société moderne à  l’aube d’un siècle nouveau. Néanmoins, je ne suis pas totalement pour une société sans prison. Une  société sans prison équivaut à révolutionner tout un système. Actuellement, je suis au stade du rêve.

On en est encore loin, mais certaines choses peuvent être faites dans l’intérêt général en permettant  de réformer la personne au lieu de la déshumaniser et, en ce moment, nous allons en nous déshumanisant  et notre civilisation est en recul.

A Maurice, nous avons trop cette culture de bez li. Chercher des boucs émissaires lorsqu’il y a un  problème est loin d’être la solution.

Propos recueillis par Adish MAUDHO

 


 

Publicité