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Grossesse chez les mineures : Un problème majeur

2 novembre 2013, 20:00

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Grossesse chez les mineures : Un problème majeur

Plus de 2 000 jeunes filles se sont retrouvées enceinte durant ces quatre dernières années. Derrière chacun de ces cas se cache une tragédie.

 

Elles sortent elles-mêmes à peine de l’enfance, mais ces jeunes filles sont déjà mamans ou sur le point de l’être. Les chiffres du ministère de la Santé en disent long sur ce problème de société. Rien que pour les huit premiers mois de l’année, 354 cas de grossesse précoce ont été rapportés. En 2009, 590 cas avaient été enregistrés, puis 587 en 2010. En 2011 et 2012, ce nombre avait légèrement baissé, passant à 546 et 514 cas respectivement.

 

Si ces jeunes filles deviennent mères aussi jeunes, ce n’est pas parce qu’«elles l’ont cherché» comme certains l’affirment ! Au contraire. Ces grossesses cachent souvent des drames : pauvreté extrême, alcool, drogue, violence domestique et sexuelle, carences affectives, manque d’encadrement parental...

 

Une fois leur petit ventre arrondi, plusieurs de ces futures mamans se retrouvent seules au monde, abandonnées par le père de leur enfant. D’autres sont rejetées par leurs parents, mises à la porte du domicile familial. Dans certains cas, ces mères célibataires sont contraintes de vivre avec le père de leur enfant, qui les a agressées sexuellement et ce, même si elles ne le souhaitent pas. Car leurs parents les y obligent. Pour ces derniers, ce qui importe le plus est de «laver l’honneur terni de la famille».

 

Si la jeune fille s’oppose à cet arrangement, elle n’a d’autre choix que de quitter la maison familiale… Une exigence des parents qui auraient mieux fait de porter plainte à la police pour agression sexuelle sur mineure.

 

S’il y a une personne qui connaît bien cette réalité mauricienne, c’est Vidya Charan, directrice de la Mauritius FamilyPlanning Welfare Association,qui accueille au sein de son Drop-In Centre des filles enceintes. «Le Drop-In Centre a été inauguré en décembre2003. Depuis, nous avons accueilli1 947 jeunes filles enceintes.Certaines d’entre elles ont été rejetées par leurs parents une fois qu’elles sont tombées enceintes. Cette année,nous avons accueilli une fille de 13 ans qui a été abusée par l’ami de son beau-père. Sa mèrel’a carrément rejetée et c’est la soeur aînée qui l’a accueillie chez elle plus tard.»

 

Et d’avancer que c’est toute une éducation qui doit être faite autour de ce problème qu’elle juge «majeur». «Les papas refusent de prendre en charge les filles et leurs bébés.La responsabilité revient alors à la jeune fille. Si l’abuseur est un parent et qu’il n’y a personne pour s’occuper du nourrisson, il ou elle est placé dans un abri», dit Vidya Charan.

 

Jennifer (prénom fictif), collégienne de 16 ans qui vit dans un faubourg de la capitale, a vécu des moments dramatiques. Le 15 juillet, alors qu’elle s’était préparée pour aller à l’école où elle allait prendre part aux examens du deuxième trimestre, elle a été prise d’atroces douleurs au ventre. «Je me suis allongée sur le lit. Quelques minutes plus tard, j’ai senti quelque chose glisser entre mes jambes. J’ai eu peur. J’ai appelé ma mère qui a hurlé en me voyant. Sans le savoir, j’étais en train d’accoucher. Je vous jure que je ne savais pas que j’étais enceinte», raconte Jennifer.

 

Transportée à l’hôpital, elle y a reçu des soins. Comme elle est mineure, l’affaire a été rapportée à la police et à la Child Development Unitdu ministère de l’Égalité du Genre. Questionnée quant à l’identité du père de son enfant, Jennifer a fini par avouer qu’il s’agissait du cousin de son père. Elle assure avoir été violée par lui.

 

Pourquoi avoir gardé un si lourd secret ? La jeune fille dit avoir été menacée de mort par son agresseur. Arrêté et traduit en cour sous une accusation provisoire d’agression sexuelle sur mineure, il a recouvré la liberté conditionnelle. S’il reconnaît avoir eu des rapports sexuels avec Jennifer, il déclare ne pas être certain d’être le père du bébé. Mais le simple fait d’avoir eu des relations sexuelles avec une mineure est un délit punissable par la loi. Selon le Protocole de la SADC sur le Genre et le développement, c’est là une forme de violence basée sur le genre.

 

Jennifer a décidé de ne pas baisser les bras et continue d’aller à l’école, s’occupant de son enfant à son retour à la maison. Elle compte bien décrocher son certificat, car des rêves, elle en a plein la tête. «Je veux devenir médecin et offrir à mon enfant toutce que je n’ai pas eu dans la vie.»

 

À Rodrigues, le problème des mères célibataires gagne aussi du terrain. En 2010, 50 jeunes filles se sont retrouvées enceintes. Elles étaient 52 en 2011 et 48 en 2012. Et pour les six premiers mois de 2013, 26 cas ont été rapportés.

 

L’absence d’une organisation non gouvernementale pour la prise en charge de ces adolescentes se fait cruellement sentir. Pour l’heure, la commission de la Femme, en collaboration avec la commission de la Jeunesse et de la Santé, offre des séances de «counselling» aux futures mères.

 

Rose, qui souffre d’un léger retard mental, a été abusée sexuellement à l’âge de 15 ans par son père. Sa mère ne l’a jamais crue. «Mon père a finalement admis m’avoir violée.Mais cela n’a rien changé à ma situation. J’ai dû rester sous le toit familial, voir mon père tous les jours et ma mère qui ne faisait pas grand cas de moi et de ma grossesse. Personne n’a pu dire à mon fils qui était son vrai père,alors que ce dernier était sous ses yeux chaque jour. C’est horrible», se remémore Rose, aujourd’hui âgée de 36 ans.

 

Depuis, c’est avec une pension de l’État qu’elle a essayé de construire sa vie. «J’ai pu me faire construire une maison en tôle sur un terrain, que mon père m’a cédé il y a quelques années. Au moins, il a fait ça.Les matériaux ont été offerts par l’État. Ce n’est que lorsque mon père est décédé il y a deux ans que j’ai pu dire à mon fils que son grand-père était en fait son père.»

 

Comme Rose et Jennifer, il y a des milliers d’autres jeunes filles qui n’ont pu vivre pleinement leur enfance et leur adolescence. Si elles ne parlent pas de ce qui leur est arrivé, c’est pour ne pas être accusées d’être des menteuses. Mais comme le dit la psychologue Véronique Wan, «la parole de l’enfant doit être prise en considération. Il faut qu’il ose parler, briser le silence pour mieux se reconstruire». Une chose qui n’est pas toujours facile lorsque l’innocence d’une jeune fille a été volée de la pire des façons.

 

Laura SAMOISY

Source : Gender Links

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