Publicité
Funérailles de Mᵉ Yousuf Mohamed: l’adieu à un ténor du barreau
Par
Partager cet article
Funérailles de Mᵉ Yousuf Mohamed: l’adieu à un ténor du barreau

Il y avait foule hier matin au domicile quatre-bornais de l’avocat Yousuf Mohamed, qui est mort dimanche soir, à l’âge de 88 ans, des suites de maladie. Les qualificatifs à son sujet n’ont pas manqué. Les visiteurs retiennent de lui l’image d’un avocat redoutable, d’un politicien coriace, d’un patriote, d’un pilier pour sa famille mais aussi d’un homme à l’humour hilarant et communicatif.
«Un homme avec un humour incroyable.» Ils sont nombreux à l’avoir exprimé en rendant un dernier hommage à Mᵉ Yousuf Mohamed, Senior Counsel, hier, en sa résidence de la rue Guy Forget à Quatre-Bornes. Ils gardent non seulement de lui le souvenir d’un patriote mais aussi «d’un grand avocat», avec un sens de l’humour incomparable.
Ce n’est pas Rehana Gulbul-Mungly, la cheffe juge, qui le connaît depuis 1983, qui dira le contraire. «Quand j’ai fait mon entrée au barreau, il m’avait accompagnée pour rencontrer les seniors et les juges, comme c’était la tradition. C’est un ténor que le barreau perd aujourd’hui», regrette-t-elle. La maison du défunt ne désemplit pas: on assiste aux va-et-vient des hommes politiques, des parlementaires, des membres du barreau mais aussi des inconnus que lui devait connaître et sans doute avoir défendus.
Shakeel Mohamed, vêtu d’un thawb blanc, vêtement traditionnel de prière, est stoïque. Il accueille les visiteurs. D’abord, il y a eu le passage du Premier ministre, Pravind Jugnauth. Peu après, c’est au tour du Premier ministre adjoint, Steven Obeegadoo, de débarquer. Ce dernier s’est longuement entretenu avec Shakeel Mohamed. «C’est avec tristesse que j’ai appris son décès. Il a toujours été un battant», dit-il à la presse.
Le no 1 de la commission électorale, Irfan Rahman, qui est le neveu du défunt, est également présent. «Nous avons perdu un pilier de la famille, un patriarche. J’ai une pensée spéciale pour son épouse, qui a été à ses côtés pendant 50 ans. J’ai eu la chance d’être son pupil. Il m’a beaucoup appris. Il est un des meilleurs avocats que le pays ait connu. Il avait son style. Il débarquait toujours en cour avec une nouvelle blague pour détendre l’atmosphère», raconte-t-il.
Ils sont nombreux ceux qui rappellent son sens de l’humour. L’avocat Roshi Bhadain a également fait son pupillage à l’étude de Yousuf Mohamed. «Il avait toujours une blague à faire avant le début d’un procès pour détendre l’atmosphère. En tout cas, c’est un grand homme que le pays vient de perdre. Il avait toujours l’intérêt du pays à cœur. Quand je lui demandais conseil pour un nouveau projet de loi, il disait toujours: ‘Ki pou ariv péi?’»
Dans la foule, il y a aussi Mᵉ Kishore Pertab, dont le bureau se trouve sur le même palier que celui de Yousuf Mohamed. Les deux hommes se sont rencontrés pratiquement tous les jours pendant 25 ans. Mᵉ Pertab considère Yousuf Mohamed comme un gentleman, malgré leurs divergences politiques. «J’étais candidat aux élections de 2005 dans la circonscription de Rivière-des-Anguilles/ Souillac où Shakeel, son fils, était mon adversaire. Cela ne nous empêchait pas de nous rencontrer pour parler. Comme voisins de palier, on se voyait souvent. Il était toujours de bonne humeur et il avait toujours une bonne blague à conter», dit-il.
Les élus du Parti travailliste, ainsi que plusieurs anciens ministres rouges, ont également tenu à rendre hommage à l’ancien ministre du Travail. Arvin Boolell, le chef de file des Rouges au Parlement, évoque un homme au caractère jovial mais un «politicien coriace. Il était concerné par la réforme électorale. Il voulait que toutes les composantes de la société soient représentées au Parlement. Il était aussi un fin diplomate», se souvient-il.
Au Mouvement militant mauricien, Reza Uteem, qui est également un homme de loi, ne manque pas de rappeler qu’il a apprécié le talent de Yousuf Mohamed quand il débutait comme avocat. Le député travaillait alors aux côtés de sir Hamid Moollan, tandis que ce dernier était un des avocats dans l’affaire Bacha «Il avait un don pour mener le contre-interrogatoire. Il faut reconnaître que c’était un ténor du barreau.»
Des anciens présidents de la République se sont dits également attristés par sa mort. «Il s’est battu jusqu’au dernier moment. C’était un grand tribun et un grand avocat. Il faut reconnaître que c’était aussi un patriote», déclare Cassam Uteem. Kailash Purryag rappelle que Maurice perd en Yousuf Mohamed un de ses derniers combattants pour l’indépendance. «Il a toujours défendu l’intérêt du pays. Il ne faut pas oublier qu’il avait été élu lors des élections de 1967. Sa mort est très triste», dit-il. Le vice-président de la République, Eddy Boissezon, ajoute que «Maurice perd en lui un grand homme». L’ancien vice-président de la République, Raouf Bundhun, était également dans la foule.
Outre des élus du PTr, le député Nando Bodha, ainsi que des membres du Parti mauricien social-Démocrate, dont Richard duval, étaient également dans l’assistance. Le conseiller spécial au bureau du Premier ministre, Zuberr Joomaye, a également rendu hommage à Yousuf Mohamed. Avec sa disparition, c’est un des grands du barreau qui lève la séance pour de bon.
Ses grands procès Un Maître en la matière
«L’une des affaires qui l’a le plus marqué, c’était le procès contre tous les habitants de Trois-Boutiques, qui avaient été arrêtés.» Mᵉ Nadeem Hyderkhan, qui travaille à l’étude Mohamed, confie que son mentor lui avait parlé de ce procès. Il s’agissait de l’arrestation de tous les hommes du village, dans une affaire de bagarre raciale en 1960. Grâce au travail acharné de Mᵉ Yousuf Mohamed, ils avaient été dans un premier temps libérés contre une caution et par la suite acquittés devant la cour.
Sir Gaëtan Duval (SGD), qui avait été arrêté dans l’affaire Azor Adelaïde (NdlR, tué par des gros bras à Curepipe en 1971), s’en était sorti. Cela, grâce au Senior Counsel qu’était Mᵉ Mohamed, qui avait dédié six mois de son temps à cette enquête préliminaire concernant SGD. Du coup, les conclusions ont montré que ce dernier ne détenait aucune part de responsabilité dans ce meurtre. Le Directeur des poursuites publiques avait décidé de ne pas ouvrir de procès aux assises contre lui.
L’affaire opposant Florent Jeannot à Yatin Varma avait fait grand bruit en 2013, lorsque l’Attorney General d’alors était accusé d’avoir commis une agression suivant un accident de la route. Mais l’accusation contre Yatin Varma, qui avait retenu les services de Me Yousuf Mohamed, avait été rayée.
Le père qu’était Yousuf Mohamed avait les larmes aux yeux… Cela, quand son fils Shakeel Mohamed a été arrêté en 2015, dans l’affaire Gorah Issac. «Nous avons persévéré et nous avons eu un magistrat qui est resté malgré l’heure tardive. Il n’a pas dormi en cellule et je prie Dieu pour que jamais un Mohamed ne dorme en cellule. Moi aussi je suis bien blessé en tant que père de famille, mo pou déssir certaines personnes», avait déclaré Me Yousuf Mohamed, la voix remplie d’émotions à la suite de la libération de son fils devant la Bail and Remand Court.
On se souvient tous de l’affaire des coffres-forts, où Navin Ramgoolam avait été arrêté en 2015. Il avait dans un premier temps retenu les services de Mᵉ Yousuf Mohamed et ce dernier avait fait le déplacement durant la nuit pour représenter l’ancien Premier ministre. Sa voiture avait été saccagée aux Casernes centrales.
C’est aux aux côtés de Mᵉ Yousuf Azaree que Me Mohamed a représenté le suspect Ajmal Aumeeruddy, qui fait l’objet d’une accusation provisoire d’assassinat, dans le cadre de l’enquête portant sur l’affaire Manan Fakhoo. Ce dernier a été tué par balles en 2021 à Beau-Bassin.
L’ex-ministre Roubina Jadoo-Jaunbocus, qui avait, en avril 2021, retenu les services de Mᵉ Yousuf Mohamed, avait remporté une victoire. Cela, dans le sillage de la demande de révision judiciaire des conclusions de la commission Paul Lam Shang Leen, où la Cour suprême avait ordonné la modification de certains extraits émis dans le rapport de la commission d’enquête sur la drogue.
Mᵉ Ravi Rutnah avait présenté ses excuses à la famille Mohamed devant la Cour suprême dans le cadre d’un procès intenté par Shakeel, Yousuf et Zakir Mohamed pour diffamation. C’était en avril 2021. Les trois plaignants n’ont pas insisté quant à leur réclamation de dommages de Rs 15 millions contre Ravi Rutnah, dans cette affaire qui a pour toile de fond un mél envoyé par l’ancien député à l’Executive Director of Conflict Awareness Project, Kathi Lynn Austin, en évoquant un trafic d’armes et en citant même que le nom des Mohamed.
Le procès qui est en cour est celui intenté à Kusraj Lutchigadoo, qui est défendu par Mᵉ Gavin Glover, Senior Counsel, et Mᵉ Yanilla Moonshiram, alors que Saheer Lalmohamed, lui, avait retenu les services de Mᵉ Mohamed. Cela, dans le cadre d’une affaire de drogue valant Rs 33 millions.
S’il a été l’avocat de Nandanee Soornack, Mᵉ Yousuf Mohamed a aussi représenté les intérêts de la famille Rawat, en l’occurrence Laina et Adeela. Arrêtées dans l’affaire BAI, ces dernières avaient fait l’objet d’une interdiction de quitter le pays alors qu’elles souhaitaient se rendre en Angleterre pour être au chevet de leur père, ancien patron de la BAI, qui était souffrant.
«Ti enn dimounn kinn touzour gard so sourir ek so kouraz»
Il inspirait le respect. Il était admiré pour sa ténacité. Yousuf Mohamed s’est éteint dimanche soir à l’âge de 88 ans, laissant derrière lui son épouse Zeinah, ses enfants Nooreenah, Shakeel et Zakir et ses petits-enfants, qu’il aimait tant… Celui qui a marqué l’histoire du pays a eu droit à d’émouvantes funérailles, hier.
Dès 9 heures, plusieurs citoyens et personnalités politiques (voir ci-contre), notamment, étaient à Quatre-Bornes, au domicile de Yousuf Mohamed, pour lui rendre un dernier hommage. Parmi eux, le Premier ministre, Pravind Jugnauth. «C’est une grande perte (…) je l’ai côtoyé quand j’étais encore avocat. On a tantôt été des adversaires tantôt travaillé ensemble(…)» Le président de la République, Pradeep Roopun, dira que Yousuf Mohamed a été un grand homme.
Le convoi mortuaire a quitté le domicile de Yousuf Mohamed vers 11 heures pour se rendre à la mosquée Bassa, à Quatre-Bornes, avant de prendre le chemin du cimetière de Bois-Marchand, où il a été inhumé. Le docteur Farhad Aumeer tenait à partager le dernier souvenir qu’il garde du défunt, étant un des médecins qui étaient à son chevet avant son départ. «Ti enn dimounn kinn touzour gard so sourir ek so kouraz. Mo pros ek lafami ek mo fier mo’nn partaz enn bout simé avek enn lézand kouma li…»
Le parcours de Yousuf Mohamed a été également été salué par le député Ehsan Juman, qui a rappelé qu’en 1979, il avait été nommé ambassadeur en Égypte avec accréditation en Arabie saoudite et au Koweït et en 1995, élevé au rang de Senior Counsel. En 2003, il s’est vu conférer le titre de Grand Officer of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean.
Pour de nombreux Mauriciens, pour ceux qui l’ont côtoyé, il restera tout simplement un grand home.
Publicité
Publicité
Les plus récents




