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Drogue synthétique: une pluie de rapports qui tirent la sonnette d’alarme
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Drogue synthétique: une pluie de rapports qui tirent la sonnette d’alarme

«Braver les interdits : le fléau des drogues de synthèse à Maurice.» Ce dossier réalisé par Enhancing Africa’s Response to transnational organised crime (ENACT) est sans équivoque. Rendu public en 2019 mais réactualisé en novembre 2020, il dépeint l’ampleur de la drogue synthétique à Maurice. D’après le rapport, sur 53 pays, Maurice se classe parmi les trois premiers en termes de consommation de drogue synthétique.
L’île devance l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et les Seychelles. «La consommation de drogues synthétiques en hausse malgré les meilleurs efforts de l’île Maurice. Les ingrédients bon marché et accessibles font des drogues synthétiques la substance illégale préférée de l’île», lit-on sur le site enactafrica.org.
Comme mentionné dans le rapport, «depuis leur apparition sur le marché mauricien, les drogues synthétiques ont gagné en popularité, principalement en raison de l’accessibilité de leur prix et de la puissance de leurs effets. Le coût d’un pouliah (paquet) de NSP – qui pèse environ 0,2 g – se situerait entre 100 et 200 roupies. C’est pourquoi il attire particulièrement les jeunes, notamment les étudiants, qui prélèvent sur l’argent de leur déjeuner le montant nécessaire pour acheter un pouliah et le fumer en groupe».
En termes de saisies, l’étude montre un accroissement des drogues synthétiques sur l’île, passant de 195,04 grammes en 2013 à 12 kg en 2018 respectivement. Ce type de drogue demeure également la moins chère sur le marché, variant à partir de Rs 1 000 le gramme, contre Rs 6 500 par gramme d’héroïne.
Parallèlement, depuis 2015, le nombre d’arrestations pour les drogues synthétiques a doublé, atteignant les 1 059 personnes en 2018. L’étude va plus loin, estimant que ces substances ont engendré une crise de santé publique et ont changé la dynamique de marché de drogues dans l’île.
En effet, cette catégorie de stupéfiants supplante l’héroïne, largement favorisée par les jeunes toxicomanes. Rappelons qu’en 2004 déjà, Maurice était classée comme le pays d’Afrique où la consommation d’opioïdes, soit l’héroïne et ses autres dérivés, était la plus élevée, et ce, par l’United Nations Office on Drugs and Crime World Drug Report.
Pour en revenir à la drogue synthétique, le rapport de l’International Narcotics Control Board de 2016 souligne que 11 types de cannabinoïdes synthétiques ont été découverts. Importés sous forme de poudres, d’huiles ou de liquides hautement concentrés, ces produits chimiques proviennent de Chine, d’Inde ou encore de Corée du Sud. En dépit des interdictions, ils atterrissent à Maurice et sont mélangés à une panoplie d’autres substances illicites qui entraînent des effets dévastateurs.
Un fléau en nette progression, selon le dernier rapport du National Drug Observatory (NDO) publié en janvier 2021. Regroupant les données pour 2019, le rapport stipule que 62 % des admissions dans les hôpitaux, concernant 520 sur 834 usagers de drogues, étaient liées à la consommation de la synthétique. Cette recrudescence de la toxicomanie en milieu hospitalier est d’ailleurs étayée par le rapport de l’ENACT avec 44 cas d’abus de drogues relevés en 2017, qui relevaient des nouvelles substances psychoactives (NSP), arrivées à Maurice en 2013.
D’autres éléments du rapport du NDO démontrent que 38 % des 4 236 cas de drogue soumis au Forensic Science Laboratory pour analyse en 2019 concernaient le cannabis, tandis que les cannabinoïdes synthétiques et l’héroïne représentaient respectivement 30 % et 24 %. Au total, 4 931 pièces ont été soumises à cette institution à des fins d’analyse. D’autre part, un programme de désintoxication à base de Suboxone-Naltrexone a été introduit à l’hôpital de Mahébourg depuis 2016. En 2019, 169 admissions – dont 80 % étaient principalement liées à la consommation d’héroïne, tandis que 20 % étaient dues à des drogues de synthèse – ont été enregistrées.
La sonnette d’alarme sur la drogue synthétique est également tirée par la Commission Lam Shang Leen. Publié le 27 juillet 2018, le rapport fait état de la prolifération fulgurante des substances psychoactives auprès des jeunes. Plusieurs chapitres mentionnent la disponibilité de ces nouvelles drogues et l’absence de données. «Le craze pour les drogues synthétiques a pris les autorités par surprise. Même le Forensic Science Laboratory et encore moins l’Anti-Drug Smuggling Unit ne pouvaient connaître leur composition en l’absence d’équipements adéquats. De même, les chiens renifleurs ne sont pas formés pour leur détection», constate la commission dans son rapport.
Ceci constituait un «réel handicap» pour les Drug Enforcement Agents, ajoute le document. La commission a parallèlement recommandé de traquer les navigations fréquentes des internautes sur les sites connus pour s’approvisionner en drogues synthétiques.
Drogue synthétique: Le «similk» tue et pousse à tuer
<p>Les drogues synthétiques tuent non seulement à petit feu leurs consommateurs mais les incitent à devenir violents, voire à tuer. Récapitulatif des crimes qui y sont directement liés.</p>
<p><strong>14 avril 2016 : </strong>Une accusation provisoire de <a href="https://www.lexpress.mu/article/279605/meurtre-dune-octogenaire-quatre-jeunes-inculpes" target="_blank">meurtre sur la personne de l’octogénaire</a> Soupamah Pajaniandy est retenue contre Yudishtil Kheerodhur, 22 ans, Allan Sevathean, 23 ans, Dhanish Dookhee, 20 ans, et Viterissen Sabapathee, 19 ans. La vieille dame est retrouvée morte, ligotée et bâillonnée, dans son salon à la Cité Père Laval. Allan Sevathean, le présumé cerveau de cet acte explique que lui et ses amis avaient besoin de s’acheter de la drogue. </p>
<p><strong>2 mai 2019 :</strong> <a href="https://www.lexpress.mu/article/352201/parricide-pas-liberation-provisoire-pour-ernest-lapeyre" target="_blank">Louis Christophe Ernest Lapeyre</a> est accusé du meurtre de son père, le caporal Lindsay Lapeyre, policier affecté à la <em>Special Supporting Unit.</em> Celui-ci gît dans une mare de sang dans sa maison à Flic-en-Flac. Une clé anglaise est retrouvée à côté de son cadavre. Selon le fils, son père l’a découvert en train de fumer de la drogue synthétique et une dispute a éclaté entre les deux hommes. Celle-ci a dégénéré. </p>
<p><strong>24 août 2019 : </strong><a href="https://www.lexpress.mu/article/359591/crime-vallee-pretres-je-ne-pourrai-pas-pardonner-mon-fils-dit-mere-dashish-runomally" target="_blank">Mohinee Devi Mohorun</a>, 61 ans, est retrouvée morte. Elle a été tuée deux jours plus tôt par son petit-fils, Ashish Runomally, 18 ans. Mohinee Devi Mohorun le surprend alors qu’il est en train de la voler et elle le réprimande. Ce dernier, en proie à une vive colère, la tabasse avant de l’agresser avec une arme tranchante. Le jeune était accro à la drogue synthétique.</p>
<p><strong>2 janvier 2020 : </strong>une violente dispute éclate à Bord-Cascades, à Henrietta, entre <a href="https://www.lexpress.mu/article/367698/deces-bhavish-rosun-il-sacharnait-sur-son-epouse-affirme-policier-qui-tire" target="_blank">Bhavish Rosun</a> et son épouse Sheena. Il est incontrôlable lorsqu’il consomme de la drogue synthétique et de l’alcool. Ce jour-là, sans l’intervention de la police, qui l’abat d’une balle, Sheena Rosun et leurs enfants âgés respectivement d’un et de deux ans, auraient pu perdre la vie. Avant que la police n’intervienne, Bhavish Rosun était particulièrement violent, les menaçant avec un sabre et allant jusqu’à les agresser. D’ailleurs, un de leurs enfants est gravement blessé mais s’en tire heureusement.</p>
<p><strong>31 mars 2020 :</strong> <a href="https://www.lexpress.mu/article/373883/meurtre-farida-10-ans-son-petit-frere-egalement-victime-violence" target="_blank">Farida Jeewooth</a>, neuf ans, est tuée par sa mère, Pallavi Khedoo, et le concubin de cette dernière, Deven Chiniah, alors qu’ils sont sous l’emprise du synthétique. Arrêtés, les deux avouent le meurtre de la gamine. Le corps sans vie de la fillette est découvert partiellement dénudé et brûlé sous un tas de fumier à Belle-Mare.</p>
<p><strong>19 mai 2020 : </strong>Un adolescent de 17 ans, habitant Stanley, agresse mortellement <a href="https://www.lexpress.mu/article/377422/stanley-un-ado-17-tue-un-homme-46-ans-pour-une-histoire-coeur" target="_blank">Edouard Bernard Lajeune</a>, 46 ans. Il le frappe avant de lui porter le coup fatal avec un couteau chinois. L’arme du crime est saisie par les policiers du Scene of Crime Office. Edouard Bernard Lajeune n’approuvait pas la relation entre l’adolescent et sa nièce de 21 ans. Selon les informations de la police, le présumé meurtrier se droguait.</p>
<p><strong>13 novembre 2020 : </strong><a href="https://www.lexpress.mu/article/385374/ayaan-2-ans-enfant-martyr-protagonistes" target="_blank">Muhammad Ayaan Ramdoo</a>, deux ans, rend l’âme. La <em>Major Crime InvestigationTeam</em> arrête son beau-père, Ashar Sobratee, totalement dépendant à la drogue. La mère de l’enfant, Nawsheen Beeharry, est également arrêtée car elle est soupçonnée d’avoir tenté de masquer le meurtre de son fils. Les proches de l’enfant, ayant appris son décès et soupçonnant un acte délibéré, alertent les policiers. Ces derniers arrivent à temps pour stopper les funérailles et récupérer le cadavre en vue de procéder à une autopsie. Le médecin légiste attribue le décès à des blessures résultant d’actes de brutalité. Le petit cadavre présente d’ailleurs des ecchymoses.</p>
<p><strong>3 décembre 2020 :</strong> <a href="https://www.lexpress.mu/article/386011/grande-riviere-nord-ouest-il-tue-sa-grand-mere-pour-rs-200" target="_blank">Sita Devi Lutchiah</a>, 67 ans, est poignardée par son petit-fils de 22 ans, Jean Noé Giovanni Lutchiah. Le mobile du crime : sa grand-mère refuse de lui donner Rs 200 pour qu’il aille s’acheter sa dose de drogue synthétique. L’entourage et les proches de la famille sont surpris car Sita Devi Lutchiah élève son petit-fils depuis qu’il est en bas âge.</p>
Sam Lauthan: «La situation est extrêmement grave»
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/article/une-sam-lauthan.jpg" width="620" />
<figcaption><strong>Sam Lauthan, travailleur social et assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue.</strong></figcaption>
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<p><strong>Pourquoi tant de délits et de crimes liés à la drogue synthétique ? </strong><br />
Depuis un bon bout de temps, je le dis : enough is enough. L’addiction au gandia ou à l’héroïne est déjà grave. Celle aux drogues synthétiques est encore plus dangereuse. On en a longuement parlé durant la commission d’enquête sur la drogue : la drogue de synthèse mélangée à Maurice est même plus dangereuse que les drogues de synthèse importées. Les Mauriciens ont commencé à inventer et à mélanger n’importe quoi pour produire des drogues à faible coût. C’est plus qu’alarmant de constater qu’il y a toutes sortes de déchets (rubbish) comme composants. Sans compter qu’avec ces drogues, les consommateurs perdent la tête. </p>
<p>À l’hôpital Brown-Séquard, presque 80 % des patients admis sont dépendants à la drogue synthétique. Toutes les drogues attaquent le cerveau. Mais avec la drogue synthétique, c’est pire. Sous l’influence de cette drogue, tout devient possible. Les toxicomanes n’ont plus de rationalité. Le drogué ne peut plus contrôler ses émotions, ses pulsions. Il devient égoïste. Une fois qu’il est devenu dépendant, son monde tourne autour de sa prochaine dose. Rien d’autre ne compte. C’est ce qui a priorité sur ses études, ses ambitions, ses rêves, son sens de l’honneur, qui prime sur sa famille, sa santé, etc. Finalement, il ne voit plus les larmes de son papa, celles de sa maman, de son épouse, ni de ses enfants. Il y a 40 ans, je disais déjà que la drogue envahirait tous les coins de l’île… </p>
<p><strong>En sommes-nous déjà là ? </strong><br />
Oui, exactement. De par les témoignages de gens qui viennent me voir, de ce qu’on lit dans les journaux, etc., il n’y a plus de safe area. Il faut réunir toutes ces mères qui vivent un martyre tous les jours et les faire parler aux médias. Que le public entende ces cris du coeur. Les pères et les enfants en souffrent énormément également. </p>
<p><strong>Plusieurs rapports mettent en avant les dangers des drogues de synthèse. Au final, est-ce beaucoup de bruit pour rien ? </strong><br />
Je n’irai pas jusque-là et dire que ces rapports ne servent pas à grandchose. On doit s’asseoir avec humilité, voir, analyser et mener les différents services de détection à travailler ensemble, ainsi que la population et la police. J’ai préparé un plan d’action que j’ai soumis au gouvernement et j’attends sa réponse. Il faut créer un observatoire du social à Maurice. Il faut d’abord collecter les données sur les agressions et les crimes avec un esprit de recherche. Par exemple, qui tue qui ? Comment ? Pourquoi ? Ainsi, nous pourrons aller au sein de la communauté pour faire de la prévention primaire. Il ne faut pas attendre que les gens soient tués. </p>
<p><strong>Est-ce trop tard ou peut-on encore intervenir ? </strong><br />
Je ne baisse jamais les bras. Mais je pèse mes mots : la situation est extrêmement grave. It’s now or never. Il faut des sessions de formation multimédias à outrance. Les experts le disent : la famille est déchiquetée. Il faut la réinventer. L’emploi le plus difficile maintenant et pour les prochaines décennies est le parentage (parenting). Les jeunes sont perdus, ils changent de partenaires de temps à autre, sont suicidaires, etc.</p>
<p><strong>Les centres de traitement sont limités en termes de places disponibles et l’hôpital Brown-Séquard est saturé. Que faire ? </strong><br />
C’est vrai qu’il n’y a plus de places disponibles pour le traitement de ces addictions. Il faudrait peut-être reconvertir certains espaces de santé, qui ont été utilisés comme centres de quarantaine pour le Covid-19, et les reconvertir en centres de traitement. Il ne faut pas se concentrer uniquement sur le traitement résidentiel mais assurer un suivi après celui-ci.</p>
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