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Central Electricity Board: une histoire… d’ingérence
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Central Electricity Board: une histoire… d’ingérence
«À mon époque, il n’y avait pas d’ingérence politique…» Plusieurs anciens responsables du Central Electricty Board (CEB) le jureraient presque. Que ce soit «avec fierté», comme l’ancien président Balraj Narroo. Ou sous couvert de l’anonymat, comme cet ex-responsable qui affirme :«Quand j’y étais, c’était plus la perception que la réalité.»
Entre la perception et les faits, il faut se faufiler entre des câbles à haute tension. Parmi les anciens présidents du conseil d’administration du CEB, la liste de ceux qui se sont lancés en politique après avoir occupé ce fauteuil est éloquente (voir texte plus bas). Du courant électrique à l’investiture, il n’y aurait qu’un fil ? Le dernier titulaire en date, Seety Naidoo, éjecté la semaine dernière dans le sillage du St-Louis Gate, n’est qu’un de ceux qui correspondent à cette description.
Le CEB est-il un tremplin vers une carrière politique ? «Oui», nous dira Balraj Narroo. Avant de nuancer. «Il ne faut pas faire de politique avec le CEB. Mais c’est vrai que c’est un tremplin pour être député ou ministre. Le CEB est tellement grand que c’est comme gérer un ministère.»
Dans son cas, il est un employé de carrière – il a commencé comme apprenti en électromécanique au CEB, à 17 ans – qui est devenu président de ce parapublic à l’époque du gouvernement travailliste. «Je n’ai jamais eu de coup de téléphone d’en haut, même pas du Prime Minister’s Office», assure Balraj Narroo. «Je le dis avec fierté. Il n’y a jamais eu d’ingérence.» L’ancien président du CEB va plus loin : «Il n’y a pas eu non plus d’instructions pour le transfert d’employés pour des raisons politiques, parce qu’ils appartiennent à un autre bord.»
Ce que Jack Bizlall, négociateur de l’Union of Employees Central Electricity Board, prend à contre-pied. Le syndicaliste fait la distinction entre le contrôle politique – qui est nécessaire – et l’ingérence politique, qui est néfaste. Le contrôle politique, c’est celui exercé par l’Assemblée nationale sur les corporations redevables à l’État. Cela concerne la politique à être adoptée par la corporation, les tarifs et les projets. «Il n’y a pas de mot à dire sur le fonctionnement au jour le jour.»
Recrutements et contrats
L’ingérence politique, par contre, est lorsque celui qui, en occupant des fonctions politiques, «fait prévaloir les intérêts du parti sur ceux de la population et de l’État. Malheureusement, il y en a plein dans tous les parapublics». Le modus operandi, selon Jack Bizlall : cela passe par des personnes interposées: Chief Executive Officer, nomination à la tête du département des finances, des ressources humaines, celui des opérations.
Parmi les manifestations de l’ingérence politique : le recrutement. «Si on pose une question au Parlement sur le recrutement au CEB par rapport à la circonscription du ministre de tutelle, on aura la réponse». Une pratique «courante à l’époque travailliste, pas beaucoup dans le cas du MMM, pire dans le cas du PMSD, qui contrôlait à un moment donné la Local Government Service Commission».
Concernant les contrats, les hommes de confiance ont en main le cahier des charges. «Ils modifient ce cahier des charges et peuvent intervenir pour que certains travaux se fassent ou pas, ou encore dans la qualité des travaux.» Jack Bizlall souligne que l’État perd des sommes «énormes» à cause de l’ingérence politique dans les contrats.
Où va l’argent ? Le syndicaliste avance que «soit c’est utilisé pour financer les élections. Soit être leader d’un parti, c’est être un futur riche. Quand un leader prend, les autres aussi prennent. C’est ce qui explique pourquoi des États sont ruinés. Notre pays est pourri».
Qui dit gros contrats, dit aussi corrupteurs… «Des sociétés qui blanchissent de l’argent.» Voilà pourquoi Jack Bizlall réclame une commission d’enquête de l’an 2000 à nos jours sur cette question. «Tous ceux qui ont fraudé doivent payer…»
Une pépinière pour les politiciens
Petit coup d’œil au profil des présidents du CEB. Ce qui frappe, d’emblée, c’est la liste de ceux qui ont quitté le fauteuil de «chairman» pour être candidat aux élections. Retour sur ces hommes de confiance des régimes successifs.
Germain Comarmond
Germain Comarmond a été président du CEB de 1984 jusqu’à juillet 1987. La même année, en août, il est candidat dans la circonscription no 14 (Savanne–Rivière-Noire). Il entre au Parlement comme best loser. Il est élu en 1991 au no 14, sous la bannière MSMMMM. Mais il est battu dans la même circonscription en 1995. Homme d’affaires, Germain Comarmond a aussi été directeur du Board of Investment. Depuis 2003, le stade de Bambous porte son nom.
Claude Geneviève
Claude Geneviève a été le président du CEB de 1988 à 1991. Candidat aux élections de 1991, il est élu sous la bannière MSM-MMM au no 4 (Port-Louis Nord– Montagne-Longue).
Le Professeur Swaley Kasenally
Le Professeur Swaley Kasenally a été président du CEB de septembre 2000 à 2003. Mais contrairement à certains de ses prédé- cesseurs, il est d’abord dans l’arène politique avant d’arriver au CEB. En 1982, il est ministre de l’Énergie jusqu’à la cassure. Il est battu aux élections de 1983. De 1994 à 1995, il est à nouveau ministre de l’Énergie.
Après ses trois ans à la présidence du CEB, Swaley Kasenally démissionne pour devenir conseiller spécial de Paul Bérenger, le Premier ministre d’alors. Lors de la récente campagne pour les élections générales de novembre 2019, il est pressenti pour être président de la République par le MMM, au cas où ce parti remporterait les élections.
Patrick Assirvaden
Patrick Assirvaden a, lui, été président du CEB de 2005 à 2010. En 2010, il démissionne pour se porter candidat au no 15 (La Caverne-Phoenix). Élu en tête de liste, il occupe le poste de secrétaire parlementaire privé de 2010 à 2014. Il devient ensuite président du Parti travailliste en 2011. En 2014, il est battu au no 18 (Belle-Rose–Quatre-Bornes). Mais Patrick Assirvaden est élu au no 15, lors des élections de 2019.
Balraj Narroo
Successeur de Patrick Assirvaden, Balraj Narroo est président du CEB d’octobre 2011 à avril 2014. Il est président de la Mauritius Marathi Mandali Federation – et du centre culturel marathi – quand il est nommé par le régime travailliste à la présidence du CEB, où il compte 33 ans de service. On se souvient notamment des déclarations de Balraj Narroo en faveur du Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam, lors de la fête Ganesh Chaturthi, en 2011. En 2014, son nom est cité pour une investiture. En 2015, au changement de gouvernement, l’ICAC ouvre une enquête. Balraj Narroo est soupçonné de conflits d’intérêts et de malversations alléguées concernant la gestion des fonds.
Seety Naidoo
Membre du Muvman Liberater, le parti d’Ivan Collendavelloo, Seety Naidoo est nommé à la présidence du CEB en 2015. L’année dernière, il a démissionné pour être candidat aux côtés d’Ivan Collendavelloo au no 19 (Stanley–Rose-Hill). En décembre 2019, Seety Naidoo a récupéré le fauteuil de président du CEB. Ce, jusqu’à la révocation du board, dans le sillage du Saint-Louis Gate, le 13 juin.
Rappel historique: un mélange d’eau et de diesel qui fait des étincelles
<p>Flashback. Retour en 1952, année de la création du <em>Central Electricity Board </em>(CEB). Et dire qu’au début, c’est une société <em>«écolo»</em>, avec ses centrales hydroélectriques, qui tournent grâce à l’énergie de nos rivières et cascades. À l’époque, les consommateurs d’électricité dépendent majoritairement de la station de <em>Tamarind Falls </em>et de celle du Réduit. Sauf que ces centrales électriques n’arrivent pas à répondre à la demande énergétique par temps de sècheresse.</p>
<p>C’est là que décision est prise de construire la centrale de Saint-Louis. Un terrain est identifié à Plaine-Lauzun. La construction démarre en 1954 et la centrale de Saint-Louis est officiellement inaugurée le 26 octobre 1955 par le gouverneur sir Hilary Blood. Sa spécificité : elle est dotée de la première voûte en béton du pays. Caractéristique qui se révèlera précieuse en 1960, au moment des violents cyclones Alix et Carol. </p>
<p>Mais cela ne veut pas pour autant dire que Maurice a attendu 1952 pour voir la lumière au bout du tunnel. L’histoire de l’électrification du pays démarre près d’un siècle plus tôt. Les rues de la ville… lumière, Curepipe, sont éclairées à l’électricité produite à partir du gaz dès 1881. Fait marquant : le <em>Casino Ball</em> du 2 décembre 1881, à Curepipe, brille dans l’Histoire parce que la salle de bal est électrifiée. On retient que notre ville lumière aurait été électrifiée la même année que Paris et New York ! </p>
<h3>Seconde guerre mondiale </h3>
<p>Dans les premiers temps, au 19e siècle, la fourniture d’électricité est l’œuvre d’une entreprise privée. À Curepipe, ce sont les frères Mallac qui font tourner une station à vapeur, à la route Royale, sur un terrain appartenant à M. Salaffa. Ensuite, ils s’installent rue Ritter. Des maisons curepipiennes ont de l’électricité pour la première fois le 5 octobre 1889. À Port-Louis, le théâtre est électrifié en 1884 et l’hôpital civil l’année suivante.</p>
<p>À Rose-Hill, c’est la famille Atchia – notamment le <em>«major»</em> Amode Ibrahim Atchia – qui se distingue. En 1890, cette famille crée la<em> Mauritius Hydro-Electric Co.</em>, avant de construire la station hydroélectrique de Réduit, en 1901. En 1903, la <em>Fanucci and Adam Company </em>fonde la G<em>eneral Electric Supply Company of Mauritius.</em> Elle fournit de l’électri- cité à Curepipe, Vacoas, Phoenix et Quartier Militaire. </p>
<p>Mais l’impact de la Seconde Guerre mondiale se fait sentir sur la fourniture électrique. En 1947, les autorités coloniales britanniques demandent un rapport sur les systèmes électriques à Maurice. Ce document est connu comme le Brazell Report, du nom de son auteur. Ce rapport recommande la création d’un <em>«board»</em> nommé par le gouverneur, pour centraliser les services électriques. Des quartiers-généraux du CEB, rue la Poudrière, entrent en service le 1er février 1954. La transition du privé au public correspond aussi à la transition de la dépendance sur l’hydroélectrique – affecté par la sécheresse – vers les centrales thermiques qui roulent au die- sel. Maintenir l’équilibre entre l’hydroélectrique et les centrales thermiques est une question qui a au cœur des décisions du CEB, depuis le début. </p>
<p>Aujourd’hui, le CEB gère quatre centrales thermiques : Fort-George, Saint-Louis, FortVictoria et Nicolay. Ainsi que dix centrales hydroélectriques (qui utilisent l’énergie d’une rivière) : Champagne, Ferney, Tamarind Falls, Magenta, Le Val, Cascade Cécile, La station Amode Ibrahim Atchia à Réduit, La Ferme. </p>
<p>Ce n’est cependant pas le CEB qui produit toute l’électricité dont nous avons besoin. En 2018, il en produisait environ 46 % de notre consommation totale. Le reste vient de producteurs indépendants, des <em>Independent Power Producers</em> (IPP). Il y en a de toutes les tailles : des gros, comme les sucreries, mais aussi des petits, des particuliers, qui vendent leur production au CEB. Le tout premier IPP à se lancer dans la production d’électricité était l’ancienne sucrerie de St-Antoine. Dès 1955, elle propose de vendre de l’énergie au CEB. La station de St-Antoine devint opérationnelle en 1957, pendant la coupe. </p>
<p><strong>Sources :</strong> <em>Lighting the way ahead : History of electrictiy in Mauritius (1880-2015), de Marc Serge Rivière.</em></p>
BWSC-PadCo et le CEB : Des liens qui datent
<p>Nous sommes le 28 novembre 2017. Au Parlement, Bashir Jahangeer interroge le ministre Ivan Collendavelloo sur la raison pour laquelle des contrats du CEB sont confiés à la même firme et au même sous-contracteur depuis 15 ans. Le député orange d’alors fait référence à la firme <em>Burmeister & Wain Scandinavian Contractor </em>(BWSC), qui sous-traite ses travaux civils à <em>PadCo</em>. En effet, pour les six stations thermiques qui ont été construites depuis 2002, c’est le même tandem qui a raflé les contrats du CEB. </p>
<p>Aujourd’hui, soit près de trois ans plus tard, le nom de ce sous-contracteur est de nouveau cité au Parlement. Cette fois-ci, le tandem se retrouve au cœur du St-Louis Gate. Le mardi 16 juin, Pravind Jugnauth a confirmé le fait que le leader de l’opposition lui a refilé le nom de <em>PadCo.</em> Bien que la direction de la firme démente une quelconque maldonne, le nombre de contrats qu’elle rafle auprès du CEB fait sourciller. Parmi les projets-phares auxquels elle est associée, l’on compte l’optimisation de la centrale thermique de Fort-Victoria, la pose de quelque 66 kV de câbles d’énergie entre Fort-Victoria et St-Louis et récemment le redéveloppement de la centrale de St-Louis. </p>
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/padco.jpg" width="620" />
<figcaption><strong>Cela fait au moins 15 années que la firme PadCo est associée au CEB,<br />
à travers les contrats qu'elle décroche.</strong></figcaption>
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<p>Selon une source au sein du CEB, <em>PadCo</em> est la firme qui obtient le plus de <em>«petits contrats» </em>également. Qui plus est, pour le projet d’expansion de la firme photovoltaïque à Henrietta, au coût de Rs 450 millions, c’est la firme <em>Pad Green Co</em>, qui compte le même actionnaire que <em>PadCo</em>, qui est favorie pour décrocher le contrat. Fait notable : depuis 2016, PadCo ne réactualise plus son site <em>Web</em>, sur lequel la firme énumérait ses différents projets. </p>
<p>Que ce soit en 2017 ou en 2020, les explications d’Ivan Collendavelloo au sujet des contrats qu’obtiennent BWSC et <em>PadCo</em> sont loin de convaincre l’opposition.</p>
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