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Séjour illégal: au coeur du vrai business des Malgaches à Maurice...

14 octobre 2018, 18:00

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Séjour illégal: au coeur du vrai business des Malgaches à Maurice...

Mardi. Rue Sir Virgil Naz, Port-Louis. La nuit vient de tomber. Derrière un portail bleu, un couloir étroit mène à des escaliers. Pas une, pas deux, mais une demi-douzaine de caméras de surveillance plus tard, nous voilà à la réception.

Ici aussi, une autre demi-douzaine de caméras sont braquées sur nous. Difficile également de ne pas repérer les portes en bois numérotées le long des couloirs.

Nous sommes à l’Auberge Dauhoo. Là où exactement, deux semaines de cela, des policiers du Passport and Immigration Office (PIO) ont cueilli, aux petites heures du matin, cinq femmes malgaches. Le Holiday Visa de ces dames était arrivé à terme.

 

 
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Derrière un comptoir surchargé, le propriétaire, Anwar Dauhoo. Notre présence ne semble nullement inquièter ce petit bonhomme en chemise et pantalon. Les présentations faites, nous allons droit au but. Que faisaient les cinq Malgaches, arrêtées dans votre auberge, à Maurice ? «Je ne leur demande pas ce qu’elles viennent faire ici. Ce n’est pas mon problème», répond sans ambages Anwar Dauhoo.

On poursuit l’interrogatoire. Depuis combien de jours résidaient-elles chez vous ? «Un mois», réplique-t-il sans hésitation. Ce, alors que pour le PIO, un Malgache séjournant au pays avec un visa de touriste, pendant plus de 14 jours, est en situation irrégulière et encourt la déportation. Ce soir-là, pas de cliente malgache à l’Auberge Dauhoo. Du moins, c’est ce que laisse entendre son propriétaire.

Pourtant, cinq jours auparavant, lors d’une visite anonyme des lieux, des membres de notre équipe d’investigation, ont été reçus par l’une d’elles. Enroulée dans un drap, celle-ci, trahie par son accent, est sortie d’une des chambres numérotées.

En lui parlant, nous avons eu l’occasion de voir l’intérieur de la chambre. Sur le lit superposé, des vêtements suspendus et des sacs. Difficile de dire si la Malgache était seule ou accompagnée d’autres compatriotes. Elle ne nous en dira pas plus.

«Patronnes»

Par contre, ce qui est certain, c’est que le PIO a été mis au parfum des activités de certaines Malgaches en situation irrégulière à Maurice. Un offficiel de la Tracking Team du bureau du passeport et de l’immigration révèle que l’une des Malgaches arrêtées le 26 septembre a vidé son sac. C’était avant qu’elle ne soit déportée vers la Grande île.

On apprendra, par ailleurs, que ses quatre camarades et elle ont pu acheter leur billet retour pour leur déportation. «Cette Malgache a dévoilé l’existence d’un réseau de prostitution. Elle raconte que ses compatriotes sont exploitées. Et qu’on bloque leur passeport dans les auberges. Au bout de 14 jours au pays, lorsqu’elles sont en situation illégale, on leur fait du chantage pour qu’elles payent davantage d’argent. C’est comme cela qu’elles deviennent travailleuses du sexe», confie l’officiel.

Poursuivant que les «patronnes» qui, la plupart du temps, s’avèrent être leurs compatriotes mariées à des Mauriciens, empochent la majorité de l’argent, leur laissant alors que des miettes.

Les adresses qui hébergeraient ces travailleuses du sexe âgées de 18 à 46 ans ne sont pas inconnues du bureau du passeport et de l’immigration. On en dénombre au moins quatre dans la capitale et ses faubourgs. Mais, également, à Trou-d’Eau-Douce, à Flic-en-Flac et à Grand-Baie. D’ailleurs, c’est au coeur de cette dernière station balnéaire que des filles malgaches se livrent au business du sexe, les mercredis, vendredis et samedis. Une adresse en particulier revient sur toutes les lèvres des opérateurs touristiques de Grand-Baie que l’on a interrogés dans le cadre de cette enquête. Il s’agit d’une boîte de nuit où une équipe de notre rédaction s’est rendue.

Mini-jupes et robes moulantes

Cette nuit-là, la discothèque est peu fréquentée. Billets en poche, poignets tamponnés par des agents de sécurité boudeurs, nous entrons.

Lumière tamisée, spots lumineux multicolores, bar… et quatre hommes à l’intérieur, prenant un pot entre amis. Jusqu’ici, tout à l’air normal.

Celle qui tient le bar a les traits d’une Malgache. À l’intérieur, encore un agent de sécurité. Sur la table des quatre hommes d’âge mûr, dont certains ressemblent davantage à des étrangers, du whisky, entre autres boissons alcoolisées.

Nous nous installons en face, faisant semblant d’apprécier la musique. Quelques minutes plus tard, elles arrivent l’une après l’autre… mini-jupes et robes moulantes, décolletés, chaussures à talons, cheveux lissés.

Elles sont quatre et rejoignent le groupe des quatre hommes pour discuter. Le bavardage est bruyant, la musique l’est davantage. Ambiance collé-serré garantie. Deux couples s’aventurent sur la piste de danse. Le premier à se lancer, un sexagénaire à la moustache sel et poivre accompagné de sa dulcinée, une femme à qui on ne donnerait pas plus de 30 ans. Ils semblent ne pas se connaître plus que cela. L’autre couple enchaînera. Des échanges au creux de l’oreille, des rires forcés.

Pendant ce temps, à l’extérieur, dans une petite pièce privée, deux filles. L’une a l’air d’avoir moins de 20 ans. Il semblerait que la pièce soit faite pour ceux qui sont en quête d’un peu de discrétion. Nous ne resterons pas plus longtemps. Les regards indiscrets de la sécurité deviennent dérangeants. C’est l’heure de rentrer.

 

Derrière l’enseigne qui brille

<p style="text-align: justify;">Cette ruelle de la capitale est presque déserte. Hormis quelques véhicules, aucun piéton en vue. Suivant les indications obtenues plus tôt auprès des habitants, nous recherchons une cour avec de grands <em>&laquo;pié koko&raquo;.</em> Au bout de la rue, une enseigne lumineuse se fait remarquer. Des palmistes aussi. Une femme âgée sur un balcon, à côté de l&rsquo;endroit, nous confirme que nous sommes arrivés là où des Malgaches séjournent.</p>

<p style="text-align: justify;">Le ruissellement d&rsquo;un cours d&rsquo;eau se fait entendre. Là aussi des caméras guettent la ruelle, sous tous les angles. Une fois le portail poussé, nous voilà face à quatre autres caméras. L&rsquo;une d&rsquo;elles est directement braquée sur la porte. Elle est énorme et contrairement aux autres, elle n&rsquo;est pas placée en haut mais de sorte à ce qu&rsquo;un adulte l&rsquo;ait en plein visage. Autour, des blocs d&rsquo;appartements de deux étages. Au milieu, une maison créole. Elle a visiblement été retapée. De grands panneaux réflecteurs y ont été ajoutés. Ce qui nous fait comprendre que ceux qui sont à l&rsquo;intérieur de la maison peuvent voir l&rsquo;extérieur sans être vus. Le linteau de la porte de la maisonnette porte un écriteau que nous ne pourrons lire, ne maîtrisant pas la langue. Le bruit de l&rsquo;eau que nous entendions de la rue provient d&rsquo;un bassin rempli de poissons aménagé dans la cour. En face de lui, une petite cage abrite des oiseaux.</p>

<p style="text-align: justify;">Autre détail : un téléphone fixe rouge posé à l&rsquo;extérieur. Nous frappons à une des portes. Aucune réponse. Nous attendons un moment. Finalement, quelques petites minutes après, une femme vient ouvrir une des portes nous demandant ce que nous recherchons.<em> &laquo;Nou pé rod bann Malgas ki res isi&raquo;</em>, répondons-nous.</p>

<p style="text-align: justify;"><em>&laquo;Népli éna Malgas aster. Lontan ti éna. Zot pa vini aster&raquo;,</em> affirme notre interlocutrice. Nous lui demandons si nous pouvons avoir une chambre. Elle nous explique que <em>&laquo;bann patron pa lwé avek morisien&raquo;. &laquo;Bizin éna paspor ! Pou bann misié-la biznes-la&raquo;</em>, dira-t-elle en indiquant l&rsquo;étage. Nous déduisons que les maîtres des lieux habitent l&rsquo;étage du bâtiment.</p>

<p style="text-align: justify;">Nous lui demandons s&rsquo;il serait possible de les rencontrer. <em>&laquo;Non !&raquo; </em>aurons-nous comme réponse. Nous quittons les lieux.</p>

 


Shamima Bhoyroo, Responsable de Parapli Rouz: «J’ai rencontré des travailleuses malgaches»

<p style="text-align: justify;">À Maurice, il n&rsquo;y a qu&rsquo;une association qui encadre les travailleuses du sexe. Parapli Rouz, dont est responsable Shamima Bhoyroo, fait une campagne de sensibilisation auprès des prostituées mauriciennes pour l&rsquo;utilisation de préservatifs, par exemple. Mais elle milite aussi pour le respect des droits des travailleuses du sexe.</p>

<p style="text-align: justify;"><em>&laquo;J&rsquo;ai rencontré des travailleuses du sexe étrangères y compris des Malgaches. Mon travail consiste à les encadrer, à leur donner les mêmes informations que je donne aux Mauriciennes. Mais jamais une Malgache n&rsquo;est venue vers nous pour demander de l&rsquo;aide. Je ne sais pas si elles oseraient parler d&rsquo;une mésaventure parce qu&rsquo;elles sont dans l&rsquo;illégalité. Les travailleuses du sexe malgaches opèrent dans le Nord de l&rsquo;île. Je serai ravie de pouvoir les aider davantage, mais nous n&rsquo;avons pas plus de contact avec ces femmes&raquo;</em>, soutient Shamima Bhoyroo.</p>

 

Les «GP»: ces commerçantes de l’ombre

<p style="text-align: justify;">Serait-ce une couverture ou un vrai business ? Nous n&rsquo;aurons pas la réponse à cette question. En tout cas, deux Malgaches que nous avons rencontrées affirment que tous leurs compatriotes qui viennent à Maurice ne sont pas des travailleuses du sexe. Que font les autres Malgaches qui sont de passage dans ces auberges de la capitale ? Du commerce.</p>

<p style="text-align: justify;"><em>&laquo;Je prends des produits de Madagascar, cela peut être des grains ou du thé, pour les ramener à des Malgaches qui travaillent à Maurice dans les usines. Je vais aussi déposer des produits dans d&rsquo;autres auberges où j&rsquo;ai des clientes. Ce sont des Malgaches mais aussi des Comoriennes qui sont des prostituées, oui. Mais nous ne sommes pas toutes dans cette situation. Dans mon cas, j&rsquo;ai accès à des tarifs réduits parce que j&rsquo;ai un proche qui travaille dans une compagnie d&rsquo;aviation. Je fais alors le va-et-vient pour ramener des produits que je revends à Maurice. Je suis donc une GP&raquo;</em>, explique la ressortissante de la Grande île.</p>

<p style="text-align: justify;">Cela signifie quoi ? La jeune femme sera incapable de nous éclairer. Elle nous dit que cela se dit comme ça et qu&rsquo;auparavant elle avait même un patron qui lui menait la vie dure mais que depuis qu&rsquo;elle sait comment se débrouiller, elle se fait plus d&rsquo;argent.</p>


En chiffres

<p style="text-align: justify;">D&rsquo;après les chiffres officiels du PIO, 110 Malgaches au total étaient en situation irrégulière au pays de janvier à octobre 2018. De ceux-là, 70 sont des femmes.</p>

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