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Riad Emamdee : «Toute une mafia approche les jockeys pour du “dirty work”»

11 août 2018, 15:30

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Riad Emamdee : «Toute une mafia approche les jockeys pour du “dirty work”»

La prescription frauduleuse du Dr Jean François Louis Pierre Madeleine au jockey Cédric Ségeon remet le dopage sous les feux des projecteurs. Pour Riad Emamdee, des brebis galeuses sévissent pour corrompre les cavaliers. L’ancien jockey critique leur manque de formation et les infrastructures mal adaptées à l’hippisme. Le point.

Comment réagissez-vous face à ce nouveau cas de «dopage» impliquant le jockey Cédric Ségeon ?
Je ne suis pas étonné. Dans le passé, il y a eu des cas de dopage. Et dans le futur, il y en aura encore…

Pourquoi ?
Là où il y a de l’argent, des brebis galeuses séviront toujours de droite à gauche. Et cela se produit même à l’international. Malheureusement, je ne suis pas choqué par la situation à Maurice. Aujourd’hui, nous avons bien moins d’amoureux des chevaux. Beaucoup plus de gens sont motivés par l’«argent facile». Les passionnés de chevaux ne commettront pas de telles bêtises.

En juin, divers cas de dopage dans le monde hippique ont été dénoncés. Pourquoi cette recrudescence ?
En un mot, c’est l’argent. Certains se laissent emporter par ces gains et acceptent toujours les mauvaises propositions. Un cas de dopage est de trop. Malheureusement, cela se produira encore car les personnes mal intentionnées voulant avoir de l’argent facile auront toujours un coup d’avance.

Il semble y avoir tout un réseau de complicité à tous les niveaux…
Ça, ce n’est pas normal. De nos jours, plus de personnes intègrent ce milieu qu’auparavant. Définitivement, il y aura plus de facteurs qui les pousseront vers de tels agissements.

Vous a-t-on déjà fait ce genre de propositions ?
Beaucoup de gens finn amenn larzan. Mais j’ai refusé catégoriquement. Une fois que vous cédez, c’est fini. Moi, j’aime les chevaux. Ma plus grande satisfaction est que feu Jean Halbwachs, mon patron d’alors, m’avait félicité pour mon intégrité.

Est-ce difficile d’y résister ?
Certains sont financièrement vulnérables et saisissent ces opportunités. Regardez les jockeys en action. Au départ, ils sont dans la misère totale. Par exemple, un matin, l’un de ceux que j’ai formés s’était absenté de l’entraînement. Quand il est finalement arrivé, ses mains étaient remplies de cloques. N’ayant pas d’argent pour le transport, il avait dû aller travailler comme «manoeuvre maçon». Après deux ans, cette même personne possède speedboats et Pajero. Où a-t-il trouvé ses fonds pour cela ? Comment ? Avec le simple salaire des montes, de telles acquisitions sont impossibles. C’est une réalité.

Dopages, suspensions, arrestations… On dirait que nombre de jockeys ne sont pas «clean». Pourquoi ?
Déjà, il y a trop de jockeys ; ou plutôt des cavaliers. Par contre, approximativement 75 attendent pour les entraînements chaque matin. Pour moi, c’est trop. Le pire, c’est le manque de formation. Par exemple, vous verrez un jockey monter à cheval à la plage. Et demain, cette même personne le fera au Champ-de-Mars. Puis, d’un côté, on leur attribue une ou deux montes par semaine. Et de l’autre, toute une mafia approche les jockeys pour du dirty work. Avec leur petite monte, comment vivront-ils ?

Moi, pendant huit ans, je l’ai fait avec mes petits gains. À mon époque, le Mauritius Turf Club (MTC) nous rémunérait. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Apparemment, les jockeys sont payés en fonction des montes obtenues et entraînements, etc. Mais qui les paie ? Combien ? Je ne sais pas.

Comment se fait la formation ?
Moi, j’étais un élève de Jean Halbwachs, un bonhomme strict et impartial. Ou foté, ou soté karéman. Il fallait être droit. J’ai de sérieux doutes sur tous ces gens gravitant autour du Champ-de-Mars. C’est de l’incompétence plutôt. Tout jockey doit développer des aptitudes précises, mais beaucoup en sont dépourvus. Ils n’ont pas la maîtrise et ne sont même pas passés par des écoles de formation.

Certains ont fait leur apprentissage en Afrique du Sud à leurs frais et sont performants. Cependant, la majorité se contente de mont-monté lamer et devient jockey. C’est inacceptable. D’ailleurs, en tant que parent, je refuse que mon enfant devienne jockey. J’ai trois fils qui n’ont jamais mis les pieds au MTC. Je les ai tenus à l’écart car toutes sortes de personnes tournent autour de vous. Je suis toujours resté loin d’eux.

Quid du dopage ?
Je ne sais pas exactement. Ces cas ont toujours été présents. Un jockey peut prendre ce qu’il veut comme stupéfiant, il ne fera pas gagner son cheval. L’animal fait 85 % du travail, et le jockey fait le reste. Toute bonne performance est innée, couplée à l’entraînement.

Maintenant sur la qualité de certains entraîneurs, cela laisse à désirer. Si j’étais un entraîneur, je ne tuerai pas mon cheval aussi vite en le faisant courir chaque semaine, notamment. D’ailleurs, si un cheval n’a pas la capacité de courir et que vous lui injectez des produits illicites et forcez la nature, il courra une ou deux fois et ç’en est fini pour lui.

À Maurice, on n’a pas de sound horse. Dès qu’il arrive au pays, il a toujours un petit problème. La plupart des chevaux proviennent d’Afrique du Sud. Auparavant, c’était l’Australie qui proposait des chevaux bien plus résistants.

Quel «petit problème» évoquez-vous ?
Un cheval ne claque pas après un tour de piste. Le problème en question a dû se produire avant les entraînements et est resté non détecté. Puis, que ce soit à Floréal ou à Port-Louis, les pistes sont difficiles. Elles s’adaptent aux entraînements légers et non aux courses. Beaucoup d’entraîneurs y font courir leurs chevaux.

Les problèmes commencent là-bas. Et avec la pression additionnelle, ces animaux claquent. Certes, aujourd’hui, s’ils valaient des millions, demain, après une course, ils finissent euthanasiés, à faire du saut à l’obstacle dans une écurie ou carrément au cimetière.

Comment les protéger ?
Le MTC fait ce qu’il peut avec ses moyens. Mais si l’instance alloue des licences d’entraîneurs, ces derniers doivent tout sécuriser et préserver les chevaux. Ils peuvent s’équiper de caméras. D’ailleurs, plusieurs l’ont déjà fait. Le MTC devrait faire pression sur eux pour ces protections.

Au cas échéant, ils ne doivent exercer ce métier. Les entraîneurs diront qu’ils n’ont pas les fonds nécessaires. Si tel est le cas, comment pourraient-ils tenir une écurie ? Soit on peut, soit on ne peut pas.

Puis, on ne peut se limiter au MTC. La brigade des jeux devrait être plus active. J’ai l’impression qu’elle est absente.

Puis, les propriétaires et entraîneurs doivent assumer leurs responsabilités et empêcher ces cas de dopage. Dans le football comme dans l’hippisme ou tout domaine où l’argent est en jeu, ce phénomène se poursuivra.

À quelle fréquence se font les contrôles ?
À mon époque, aucun contrôle n’était effectué sur les jockeys. Aujourd’hui, le procédé est aléatoire tout comme pour les footballeurs, cyclistes, etc. Donc, on appelle un ou deux jockeys comme ça pour les tester. En revanche, tous les chevaux sont soumis à ces tests par le MTC.

Quelles sont les solutions ?
Je suis pessimiste. Je ne vois pas cela s’arrêter ou s’améliorer de sitôt. Par contre, le MTC devrait prendre sous son aile les jockeys performants et ne pas leur donner toute liberté. Je pense actuellement à deux dans ce cas. Il faut les contrôler, les guider et les rémunérer. Si on laisse faire avec les victoires et les succès actuels, la mafia les corrompra. Des vautours rôdent toujours…

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