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Le Père Noël et le Metro Express
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Le Père Noël et le Metro Express
C’est une tradition. À chaque Noël, nous demandons à un auteur mauricien de nous raconter une histoire. C’est Gillian Geneviève, prix de poésie Edouard Maunick, qui révèle cette année le défi. En 2006, il avait reçu le prix Jean Fanchette. Cerise sur la buche: son conte est local à souhait.
À Yan Hookoomsing, à mes fils. C’est la saison des litchis, des mangues et du soleil de décembre. L’aube arrive trop vite, les arbres n’ont pas toujours le temps de se refaire une beauté pour accueillir le jour.
On l’ignore, mais les arbres parlent, pleurent et chantonnent pour dire le temps, les caprices des vents, les secrets de la terre et le vagabondage des cailloux et des pierres sur les chemins pas toujours balisés de la ville. Mais ils aiment avant tout parler de l’homme, de ses travers et de ses rêves. Ils sont discrets, les arbres. Ils n’interviennent jamais et se contentent d’écouter tous ceux qui les croisent. Et quand cela devient intéressant, ils font un rapport au Père Noël.
Les arbres sont les maîtres-espions du Père Noël. S’il connaît tous nos vœux, c’est grâce à eux. Ils nous écoutent et lui transmettent nos rêves et nos envies. Cela sert à ça, la racine des arbres : des transmetteurs d’informations de racine en racine jusqu’au Père Noël. Malgré la rumeur, il ne peut pas être partout, le Père Noël ; il se fait vieux, il commence à être fatigué. La bêtise des hommes ne facilite pas les choses.
Les hommes ont perdu l’alphabet du vivant. Ils ne savent plus converser avec les arbres et les étoiles. À force de se prendre en selfie, ils ont perdu l’habitude de regarder autour d’eux. Ils se contentent de se balbutier des compliments et de liker leurs propres photos sur Facebook en oubliant la beauté du monde et la force des mythes.
Le Père Noël est très inquiet de la marche du monde. Il trouve que les hommes oublient de plus en plus l’essentiel. Les hommes rêvent désormais de selfie stick ou du dernier iPhone... pour se prendre en photo à chaque instant.
Les vœux se résument aux portables…
Ils ne vivent plus l’instant, trop préoccupés à prendre la pose avant de tout mettre sur Instagram ou Facebook. Les enfants aussi s’y mettent ! Les entrepôts du Père Noël croulent sous le stock de jouets que les enfants ne désirent plus. Les vœux se résument aux portables et aux tablettes numériques. Le vécu devient virtuel et est transféré sur disque dur.
Tout devenait ainsi possible. Même la fin des arbres ! Obnubilés par leurs nombrils, les gens acceptaient hébétés toutes les décisions, même les plus absurdes du gouvernement.
Une rumeur circule parmi les arbres de Beau- Bassin et de Rose-Hill: on va bientôt les abattre ! L’heure est grave : les enfants de Beau-Bassin et de Rose-Hill risquent de ne plus recevoir de cadeaux pour Noël ! Comment le métro, toujours pressé, va-t-il transmettre les vœux des enfants au Père Noël ? Il faut le calme, l’immobilité et la douceur des arbres pour entendre les vœux des gens. Le métro est hyperactif !
Le Père Noël a eu vent de ce qui se trame dans cette petite île qu’il a toujours aimée. À quelques jours du 25 décembre, très discrètement, il décide d’organiser une rencontre urgente pour éviter le pire.
Immense générosité
La réunion va se dérouler à la promenade Roland Armand, qui longe la rue Vandermeersch. Une promenade habitée par des centaines d’arbres magnifiques, très orgueilleux mais d’une immense générosité. Ils adorent offrir de l’ombre aux amoureux qui se réfugient là les jours de trop gros soleil.
David, un petit garçon, est aussi convoqué à ce rassemblement secret. David n’est pas un petit garçon comme les autres. Il aime les livres, se raconter des histoires. Il adore discuter des heures avec les nuages, les pierres et les arbres ! Il a reçu un don merveilleux : celui de voir l’essentiel avec le cœur. Quand il écoute son propre cœur, c’est tout le cosmos qui lui parle. Le Père Noël a décrété que sa présence est indispensable. Il est le lien entre les hommes et tout ce qu’ils commencent à oublier, pris par le souci du paraître et de l’avoir.
Chaque matin, avant le réveil de ses parents, David se faufile à l’extérieur, marche quelques centaines de mètres et se rend à la promenade Roland Armand pour converser avec ses amis les arbres.
Mais, depuis quelque temps, les arbres ne sont plus très bavards. Ils n’ont pas trop le moral. Ils ont surpris des bribes de conversation entre des joggers. Ils parlent du projet de métro qui nécessite la mise à mort de tous les arbres sur le tracé prévu. Dans un premier temps, ils n’ont pas cru que les hommes pouvaient être bêtes au point de détruire la condition même de leur survie. Car sans les arbres, pas de pluie, pas d’oxygène et surtout rien pour cacher la laideur de l’asphalte et du béton. Mais des hommes sont arrivés un matin et ont peint des chiffres et des lettres sur l’écorce même des arbres. Alors, ils ont compris que leurs jours sont comptés.
Petit plaisir
Ils attendent maintenant l’arrivée du Père Noël pour discuter de la marche à suivre. Il y a urgence ! Ils ont bien sûr tout dit à David ; il a un cœur pur.
Ce jour-là, comme à son habitude, David quitta sa maison très tôt. Il arriva, bien avant le lever du soleil, au milieu des arbres à la promenade Roland Armand. Il adorait ce moment où les arbres oubliaient toute retenue et racontaient mille et une choses sur la vie et les hommes. Il apprenait bien des choses ainsi chaque matin.
Il était encore plus heureux à l’idée de rencontrer le vieil homme à la barbe blanche qui l’avait fait tant rêver. Et dire que ses amis ne croyaient plus au Père Noël. À l’école on se moquait souvent de lui, de ses drôles de lubies et de sa fâcheuse manie de lire des livres ! Si seulement ils savaient ! Mais David a juré de ne rien dire.
Le Père Noël apparut tout à coup sur une grosse moto Harley Davidson ! Le Père Noël se faisait un petit plaisir de temps en temps. Il adorait les motos ! Mais il avait quand même attendu la sortie d’une Harley Davidson électrique. Il était écolo, le Père Noël !
David était tout ému. Le Père Noël se rapprocha et se mit à ses côtés. Les amis, l’heure est grave. Lepep mauricien a décidé qu’il n’a plus besoin d’arbres et qu’il préfère le métro ! Vous les arbres, vous êtes sur le passage de la modernité. Vous allez devoir céder la place aux rails pour que les gens arrivent plus vite dans leurs bureaux climatisés à Port-Louis.
Les travaux sont bien avancés, le danger est imminent. La population est aveugle. Sans vous, il me sera impossible de connaître les vœux des enfants de cette ville. Il faut taper fort pour que les hommes prennent conscience de l’absurdité de leur démarche !
Laide et angoissante
Je décrète une grève d’ombre et de fraîcheur dès ce matin ! Vous les arbres, mettez-vous en mode furtif, disparaissez aux yeux des hommes. Quand ils se réveilleront, il n’y aura plus rien. Ils prendront peut-être conscience de votre importance. David, rentre chez toi, rameute tes parents et tes voisins, parle-leur de la disparition des arbres. Toute la ville doit être au courant du départ des arbres.
Les arbres s’exécutèrent sur le champ. Ils disparurent de la promenade ! David se retrouva seul car le Père Noël aussi avait disparu ! Il ne pouvait apparaître que si les arbres continuaient à lui permettre de communier avec les hommes.
Le cœur de David battait à tout rompre. Le soleil commençait à apparaître. En l’absence des arbres, la promenade était devenue couleur asphalte, laide et angoissante. Il rentra prévenir ses parents et ses voisins.
Maman ! Papa ! Les arbres ont disparu ! Tous les arbres ont disparu ! David, laisse-nous dormir. On est fatigués… grommela son papa.
Mais papa, c’est grave ! Ils ont tous disparu ! répondit David, interloqué par la réaction de son papa.
Écoute David, c’est comme ça. C’était déjà prévu. Tu vas voir, on va bien s’amuser. Il y aura le métro. C’est amusant un métro. Tu verras. Maintenant laisse nous dormir… murmura sa maman avant de se rendormir.
David n’arrivait pas à croire que ses parents semblaient indifférents au sort des arbres. Décidément, les adultes ne comprenaient rien à l’essentiel.
Il ressortit de la maison et repartit vers la promenade, qui était maintenant noire de monde. Les habitués étaient tous là. Mais, à la grande surprise de David, ils ne semblaient pas s’être aperçus de la disparition des arbres. Ils se prenaient en selfie et même riaient aux éclats !
Magie de Noël
Les arbres ont disparu ! Vous ne le voyez donc pas ! s’exclama David. Un promeneur s’écria : Ce n’est pas grave ! On aura le métro. On n’arrête pas le développement ! David était abattu. Ainsi le sort des arbres importait peu aux gens. Il s’assit sur un banc et ne put s’empêcher de pleurer. Tout à coup, il sentit une présence à côté de lui. Il se frotta les yeux et vit le Père Noël. Autour de lui, les arbres étaient à nouveau à leur place. Ils le regardaient avec beaucoup d’amour et esquissaient un petit sourire comme pour le consoler. Vous êtes de retour !
Non, pas tout à fait, répondit le Père Noël. Tu es le seul désormais à pouvoir nous voir. On savait bien qu’on ne pouvait rien faire pour les empêcher de tout détruire. L’homme n’apprend pas grand-chose de ses erreurs. On n’arrête pas le développement, comme ils disent. Le développement pourquoi, on ne sait pas trop. Ils ont déjà décidé du sort des arbres et de la magie de Noël. Très peu de gens croient maintenant que j’existe. Ce qui importe, c’est que toi, tu ne nous oublies pas. Les arbres et le Père Noël ont besoin que des petits garçons et des petites filles continuent à croire en eux.
David n’eut pas le temps de répondre. Le Père Noël et les arbres avaient à nouveau disparu. Mais il avait compris l’essentiel. Il importait peu, le discours des grands. Il fallait qu’il continue à croire en ses rêves et au Père Noël. Il se promit de tout faire pour que les arbres reprennent leur place.
Il allait rentrer quand il aperçut une petite besace rouge posée là où le Père Noël s’était assis. Elle était remplie de graines de toutes tailles. C’était son cadeau de Noël. David sourit. Il savait ce qu’il lui restait à faire.
Il prit la besace toute rouge et se mit en marche.
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