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Ragini Runghen: «Les saisies de drogue ne sont que le sommet de l’iceberg»
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Ragini Runghen: «Les saisies de drogue ne sont que le sommet de l’iceberg»
La responsable de Lakaz A, qui était parmi les fondateurs du Groupe A de Cassis, il y a 31 ans, est inquiète devant la prolifération de drogue. Ragini Runghen s’alarme de l’absence d’une stratégie coordonnée pour combattre la toxicomanie.
Depuis plusieurs années, vous luttez contre la toxicomanie. Les récentes saisies de drogue vous interpellent-elles ?
Nous devons apprécier le travail abattu par la police et le service des douanes. Toutefois, j’ai peur. Parce que ces saisies de drogue ne sont que le sommet de l’iceberg. Il y a eu un laisser-aller, ces dernières années. Le manque de rigueur, dans certains services, a permis qu’une très grande quantité de drogue entre dans le pays. Il y a également eu une perte de valeurs à divers niveaux de la société. Aujourd’hui, des membres des corps professionnels, autrefois très respectés, sont de mèche avec des trafiquants de drogue.
Ces saisies relèvent de l’aspect répressif du combat contre la drogue. Y a-t-il d’autres facettes ?
La prévention est capitale. Sans la prévention, on ne réglera pas le problème de la toxicomanie. Il faut assurer une éducation de qualité pour avoir, demain, des hommes et des femmes avec des valeurs et des principes. Nous avons des professionnels d’une grande compétence, mais sans aucune valeur morale. La réhabilitation est également importante. Aujourd’hui, les toxicomanes qui veulent arrêter de se droguer vont dans des centres gérés par des organisations non gouvernementales (ONG) ou dans de coûteux centres privés. Toutefois, après la désintoxication, nombre d’entre eux replongent dans le même environnement qu’avant et certains rechutent.
Faudrait-il donc revoir la stratégie de lutte contre la drogue ?
En 2015, la NATReSA (NdlR: National Agency for the Treatment and rehabilitation of Substance Abuse) a été dissoute par Anil Gayan, alors ministre de la Santé. Aujourd’hui, le problème de la toxicomanie est appréhendé dans sa dimension médicale seulement, alors qu’avec la NATReSA, il y avait une démarche sociologique qui nous permettait de faire de la pédagogie et de la prévention. C’est dommage que des organismes de lutte contre la drogue soient politisés. La NATReSA était une plateforme où se retrouvaient les organisations engagées dans les divers aspects de la lutte contre la drogue. Depuis la fermeture de l’organisme, les animateurs des ONG ne se rencontrent plus pour des échanges d’informations.
Quelle est la relation entre le Groupe A et Lakaz A ?
Le groupe A existe depuis 31 ans. Sa devise est «Amour, Accueil, Amitié». Il a pris naissance à Cassis à partir d’une initiative des jeunes de la paroisse de Saint-Sacrement. Nous étions motivés à changer les choses parce que nous étions touchés en voyant des jeunes du quartier mourant d’overdose et en constatant la douleur des parents quand un enfant était victime de toxicomanie.
Nous nous sommes engagés à venir en aide à ces familles en détresse. Dans ce contexte, nous avons rencontré des personnes qui, parce que rejetées, se retrouvaient à errer dans les rues. Nous avons pensé les accueillir dans la journée. Mais à Cassis, il n’y avait aucun lieu pour le faire. C’est de là qu’est partie l’idée de Lakaz A.
Comment Lakaz A s’est-elle retrouvée à la rue Saint-Georges, à côté de l’église de l’Immaculée Conception ?
Vers la fin de 2006, l’Apostolat de la mer quitte la maison où nous sommes, pour emménager ailleurs. Le Diocèse de Port-Louis a mis ce local à notre disposition et le 1er décembre de cette année-là, Lakaz A ouvrait ses portes. Donc, en sus de l’action pour la prévention dans la lutte contre la toxicomanie, le Groupe A fait aussi de l’accueil. Lakaz A est une maison d’accueil de jour.
Qui sont ceux qui sont accueillis à Lakaz A ?
Nous accueillons pour la journée des sans domicile fixe (SDF), des toxicomanes, des alcooliques, des enfants de familles brisées, et des personnes séropositives. Nous offrons à ceux qui viennent vers nous de quoi satisfaire leurs besoins de base : une douche, un petit-déjeuner et de quoi faire leur lessive.
Avez-vous un personnel pour offrir ces services ?
Ce sont des volontaires qui font l’accueil et préparent les repas. En moyenne, entre 15 et 40 personnes passent chez nous dans une journée. Il y en a une dizaine qui sont à Lakaz A quotidiennement. Ce sont des réguliers.
Et le soir, que font ces personnes ?
Hélas, Lakaz A n’est pas ouverte la nuit. Comme nous entretenons de bonnes relations avec les responsables de l’Abri de nuit, nous référons à cette structure les SDF qui passent la journée chez nous. Toutefois, bon nombre d’entre eux préfèrent dormir dans la rue.
Sont-ils nombreux à vouloir dormir dans la rue ?
Le grand public l’ignore, mais de nombreuses personnes dorment dans la rue. Faites une virée, la nuit, dans certaines artères de la capitale et vous le constaterez. Ces SDF viennent de partout. Dans certains cas d’aussi loin que Curepipe et Mahébourg. Nous essayons de les intégrer tous.
A-t-on déjà fait un relevé sur le terrain pour connaître le nombre de SDF et leur profil ?
Pas à ma connaissance. Jamais personne n’est venu nous voir à ce sujet. Mais, nous notons un rajeunissement des SDF. Les dimanches après-midi, les jeunes du Groupe Tonnelle de la paroisse de l’Immaculée Conception, qui offrent un repas chaud aux SDF, accueillent au moins 150 personnes. Elles sont de tout âge : des personnes âgées, des jeunes et même des enfants. Il y a des personnes qui viennent en famille. Parfois, je m’interroge. Y-a-t-il autant de personnes démunies ? Mais à Lakaz A, devant la misère, nous ne passons pas de jugement. Nous accordons une écoute.
Où trouvez-vous des ressources matérielles et humaines pour mener votre action ?
Nous activités sont financées par le fonds du Corporate Social Responsibility. En ce qui concerne les ressources humaines, nous sommes seulement trois permanents. Mais, nous bénéficions du soutien de jeunes volontaires. Ces derniers sont nombreux à répondre à notre appel. Deux weekends par an, nous organisons une retraite au Foyer Fiat, à Petite-Rivière, pour les initier au travail social.
Lakaz A reçoit-elle d’autres financements à part celui du CSR Fund ?
Hélas non. Quand Cassam Uteem était lord-maire, il avait offert au Groupe A un soutien de la municipalité de Port-Louis sous forme de financement et de mise à disposition des infrastructures municipales. Depuis cinq ans, ce soutien nous a été retiré sans aucune explication. Et la NATReSA a été fermée. Nous sommes restés dignes et nous n’avons pas cherché à connaître la motivation de cette décision.
Bio express
<p>Depuis son enfance, Ragini Runghen a évolué dans un environnement où le travail social est présent. La Portlouisienne, qui a grandi à Cassis, a hérité de ses parents la volonté de se mettre au service des autres. Ses aînés étaient engagés dans des mouvements diocésains, dont l’Indo-Mauritian Catholic Association. Après ses études, Ragini a exercé comme enseignante dans un collège. Elle a aussi évolué dans le tourisme. Et son temps libre était consacré au travail social. C’est dans le social qu’elle a rencontré son époux Kadress Runghen. Le couple a su transmettre à ses deux fils l’enthousiasme pour se mettre au service des plus démunis. L’engagement de Ragini lui a ouvert les portes des centres de formation pour travailleur social en Italie, aux États- Unis et en Afrique du Sud. Aujourd’hui, c’est une animatrice maîtrisant les règles du travail social qui s’occupe à plein-temps de Lakaz A.</p>
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