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Henri Cohen Solal: «Donner au jeune de la rue une alternative pour se reconstruire»
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Henri Cohen Solal: «Donner au jeune de la rue une alternative pour se reconstruire»
Psychanalyste et docteur en psychologie clinique, Henri Cohen Solal est aussi cofondateur des Maisons Chaleureuses, maisons d’accueil pour les jeunes de la rue, initiées en Israël en 1980. Envisageant de poser à Maurice les bases d’une de ces maisons, il était en visite chez nous fin août.
Vous êtes spécialiste de la médiation psychosociale et interculturelle, que vous mettez en pratique depuis plus de 40 ans au sein de vos Maisons Chaleureuses. Quelle est la force de la médiation quand on travaille auprès de jeunes en situation de vulnérabilité ?
Les jeunes sont à la fois en conflit avec eux-mêmes, avec la société et avec les dilemmes de leur identité. La médiation vient leur apporter un terrain neutre et bienveillant, ainsi qu’une qualité d’écoute fondée sur les capacités de ne pas les juger et de ne pas penser à leur place. Les Maisons Chaleureuses que nous mettons sur pied doivent avoir le même caractère. De plus, l’approche analytique est centrale pour nous. Notre démarche est de restituer la dignité du jeune afin qu’il retrouve confiance en lui et qu’il regagne sa place dans la société. Tant qu’un jeune n’a pas confiance en lui et en l’autre, il n’avancera pas car il est trop fragile sur le plan narcissique, il établit des défenses menaçantes quelquefois pour les autres et étouffantes pour lui.
«Tant qu’un jeune n’a pas confiance en lui et en l’autre,il n’avancera pas.»
Au sein de vos Maisons Chaleureuses, il y a des règles à respecter. Deux règles pour les quatre éducateurs qui s’y trouvent – la porte est ouverte à tous sans distinction, et l’exclusion du jeune est interdite. Trois règles pour le jeune – pas de drogue et d’alcool, pas de violence, un comportement correct entre garçons et filles. Or, les jeunes en situation de vulnérabilité transgressent toujours les règles. S’ils ne sont jamais exclus, comment alors sont-ils recadrés ?
L’équipe n’exclut pas, mais elle négocie. Nous tentons de construire avec le jeune le poids et les conséquences de ses actes, en travaillant à la fois sur le dialogue, l’écoute et la responsabilisation. Ce dernier point est fondamental dans notre démarche. Ces jeunes sont aux prises avec la haine, l’amertume, la frustration de la vie. Il est important de leur redonner l’opportunité de basculer du bon côté, celui des pulsions positives et de la confiance dans la vie. Le concept du «pont à bascule» est beaucoup utilisé en médiation.
La non-violence est un autre des principaux outils utilisés pour gérer les différentes situations qui surviennent au sein des Maisons Chaleureuses. Depuis la création de ces maisons, la police n’a jamais eu à intervenir. Mais les éducateurs sont parfois confrontés à des situations assez violentes. La non-violence a-t-elle une limite ?
Face à la violence poussée, nous avons une solution drastique : nous faisons grève et fermons la maison. C’est notre manière de dire nos limites. Cela les atteint directement et brusquement car malgré leur comportement, les jeunes recueillis tiennent à la maison, ils veulent qu’elle continue de vivre. La principale force des Maisons Chaleureuses, c’est que nous créons dès le début chez les jeunes un fort sentiment d’appartenance. Ils participent à toutes les étapes décisionnelles, sont embarqués dans la mise en place de la maison, impliqués dans sa construction. La maison est pensée pour être un lieu qui leur appartient.
La manière dont la maison est construite joue aussi un rôle dans la prise en charge du jeune ?
Oui. Par exemple, la maison ne dépasse jamais une superficie de 150 m2 car il est important que les quatre éducateurs puissent assurer une présence maximale dans un espace au caractère familial. Chacune des maisons comporte aussi un espace collectif ouvert qui demande à ce jeune de ne pas faire preuve d’exclusion envers les autres. Le jeune de la rue a connu l’exclusion et il faut dans la maison arrêter la chaîne de récurrence de l’exclusion.
Outre cet espace collectif, il existe un espace d’atelier créatif – théâtre, musique, danse – qui permet au jeune de s’exprimer. Nous devons lui donner dans la maison une alternative à ce qu’il a trouvé dans la bande de rue. La rue bouge tout le temps, il s’y passe toujours quelque chose. L’espace créatif est l’alternative que nous proposons.
Pour finir, il est important d’avoir au sein de la maison un espace pour les entretiens individuels afin que les jeunes aient l’occasion de parler de choses plus personnelles. L’idéal, si le lieu le permet, est d’avoir un quatrième espace en extérieur – terrain de basket ou autre – pour qu’ils puissent se défouler.
Que vient chercher un jeune en situation de vulnérabilité dans vos Maisons Chaleureuses ?
De manière générale, l’être humain est tout le temps en conflit avec lui-même. Pour un adolescent qui vit dans des quartiers défavorisés, ce conflit est souvent accentué, déchirant. Il lui est difficile de savoir à quel adulte il pourra s’identifier, et donc difficile de trouver un support pour quitter son enfance et avancer vers le monde adulte. Les travailleurs sociaux doivent alors l’aider à créer le pont pour rejoindre l’autre rive en prenant de nouveaux modèles. Parfois, les parents eux-mêmes n’ont pas réussi à faire confiance à l’autre rive.
Un adolescent doit gérer tout un tas de dilemmes et de questions, pour savoir si, quand et comment il réussira sa vie sociale. Avec une approche analytique de ses angoisses, nous avons choisi de mettre sur sa route une maison. Il faut que dans cette maison, le jeune trouve toutes les choses essentielles qui le conduiront là où il souhaite aller. La Maison Chaleureuse lui donne une alternative pour se reconstruire. Il faut que ce que nous proposons dans la maison soit la promesse et la réalisation d’une vie meilleure que celle qu’il trouvera au sein de la bande de rue.
Qu’est-ce qui fait l’attrait de la bande de rue ?
Dans la bande de rue, le jeune recherche une communauté pour le sécuriser et il y trouve un certain nombre d’avantages. Mais lorsqu’il s’y installe, il est confronté à des règles autodestructrices et violentes, telles que le mauvais usage de la force, les drogues ou l’alcool. Nous nous imaginons toujours que la rue est vide alors qu’elle est très habitée, et le jeune est très vulnérable face à ceux qui veulent l’exploiter.
Bio express
Docteur en psychologie clinique et psychanalyste, Henri Cohen Solal est le directeur du Collège Doctoral Paris-Jérusalem et le cofondateur des Maisons Chaleureuses pour l’accueil des jeunes de la rue. Il est aussi formateur sur les thèmes de la médiation sociale, interculturelle et institutionnelle à l’IFOMENE (Institut Catholique de Paris) et à l’Institut Beit Ham/Beit Esther à Jérusalem.
En 1980, il cofonde la première «Bait Ham» ou Maison Chaleureuse en Israël. Le but est d’y accueillir les jeunes en difficulté en se basant sur quatre principes fondamentaux – l’interdiction de l’exclusion, l’autonomisation, la créativité et la sécurité – et en utilisant des outils tirés de la médiation psychosociale ainsi que de la psychothérapie institutionnelle.
Le succès est tel qu’aujourd’hui, soit 40 ans plus tard, une cinquantaine de Maisons Chaleureuses sont réparties sur plusieurs continents et des centaines d’éducateurs ont été formés aux méthodes de travail de ces maisons.
Des milliers de jeunes en situation de vulnérabilité ont été touchés par les Maisons Chaleureuses et des programmes de recherche ont été lancés en collaboration avec une douzaine d’universités dans le cadre du Collège Doctoral Paris-Jérusalem.
Former des passionnés du social à la médiation
En collaboration avec l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM), le Collège Doctoral Paris-Jérusalem et l’Institut de formation à la médiation et à la négociation (IFOMENE), les Maisons Chaleureuses et Henri Cohen Solal projettent de monter un programme de formation à la médiation sociale et interculturelle comme outil de traitement contre l’exclusion, les traumatismes et la «déliaison» sociale. Cette formation serait destinée à des éducateurs, animateurs et travailleurs sociaux.
Le but serait, d’une part, d’identifier, de former et d’accompagner des éducateurs pour encadrer les jeunes recueillis au sein d’une éventuelle Maison Chaleureuse à Maurice et de l’autre, des agents sociaux engagés dans le même secteur au sein d’ONG quelque peu similaires. C’est avec le soutien de l’organisation non gouvernementale (ONG) Leadership and Empowerment for Action and Development (L.E.A.D) et de l’Integrated Proactive Strategic Development (IPSD), organisation à but non lucratif, que ce projet a été enclenché. Il en est actuellement au stade de la reconnaissance de terrain.
La région qui accueillerait, si tout va bien, la Maison Chaleureuse, a été identifiée et les personnes engagées sur le projet sont à pied d’oeuvre pour en parler avec les habitants. «Ils y sont généralement très favorables car ils reconnaissent l’importance d’un lieu de vie neutre, accessible aux jeunes, situé au cœur même du quartier», souligne Danny Philippe, de L.E.A.D. «Nous lançons un appel à des partenaires potentiels, qui veulent aider, par leur investissement, enfants et jeunes vulnérables à bâtir un meilleur avenir», avance-t-on du côté de l’IPSD.
La formation, prévue pour fin 2016, est essentielle à la compréhension du fonctionnement des Maisons Chaleureuses. Le Dr Jonathan Ravat, responsable du département d’Études sociales à l’ICJM, l’accueille favorablement, dans la mesure où elle est complémentaire à une formation existante sur le leadership social.
Les intéressés peuvent d’ailleurs s’inscrire à ce cours de 200 heures, reconnu par la Mauritius Qualifications Authority et qui s’étendra du 28 septembre 2016 au 23 août 2017. Il coûte Rs 5 000 mais il est possible de bénéficier de facilités de paiement. Il se destine aux bénévoles et travailleurs sociaux des ONG et forces vives, de même qu’aux personnes engagées sur le terrain et dans leurs cités et résidences. Pour les inscriptions, téléphoner au 464-4109.
Deux causeries réunissent plusieurs ONG

Des bénéficiaires et représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) mauriciennes ont rencontré Henri Cohen Solal les 29 et 30 août. La première conférence, sur «la Maison comme outil thérapeutique», s’adressait aux bénéficiaires de l’association Friends in Hope et à leurs proches.
Le lendemain, par l’intermédiaire d’ACTogether et de la Fondation Ciel Nouveau Regard, le cofondateur des Maisons Chaleureuses a parlé de son travail auprès de celles-ci et des jeunes. À cette occasion, une vingtaine de membres d’ONG oeuvrant en faveur des jeunes en situation de vulnérabilité étaient présents. Outre le partage de son expérience personnelle, Henri Cohen Solal a recueilli les témoignages des participants et pris note des pratiques des ONG mauriciennes engagées sur le terrain.
Cette deuxième rencontre tournait autour de la question suivante : «Les jeunes qui fréquentent la rue vivent avec un triple sentiment d’abandon, d’exclusion et de stigmatisation. Ils se trouvent en difficulté pour se projeter dans l’avenir et vivent l’actuel comme une agression. Ils y répondent par la violence, la dépression, l’utilisation de produits addictifs et le repli sur soi. Comment, à l’aide d’une maison chaleureuse et d’une équipe formée à la médiation psychosociale et à la psychothérapie institutionnelle, leur permettre de trouver un chemin vers le vivre-ensemble, la confiance en soi et dans les autres ?»

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