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Protection de l’enfance: les attentes de la société civile pour 2015

19 janvier 2015, 06:16

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Protection de l’enfance: les attentes de la société civile pour 2015

Après l’audition des représentants de l’État mauricien par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies les 14 et 15 janvier, les membres du «Kolektif Drwa Zanfan Morisien» espèrent des avancées rapides sur les dossiers primordiaux .

 

Des consultations sur le Children’s Bill

Émilie Duval, responsable du département Psychologie et Counselling de l’Institut Cardinal Jean Margéot

«En plus des experts du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, cinq pays ont interpellé l’État mauricien sur le fait que le Children’s Bill, annoncé comme au stade de ‘finalisation’ depuis 2011, n’a toujours pas été voté. Le Kolektif Drwa Zanfan Morisien attend beaucoup de cette nouvelle législation, qui devrait répondre à de nombreux problèmes en rassemblant les textes de lois relatifs à la protection de l’enfance et en comblant les manquements actuels.

 

Ce qui est inquiétant toutefois, c’est que les ONG n’ont pas encore eu accès au projet de loi. Trop souvent, la société civile est oubliée des consultations par l’État alors que les ONG connaissent les réalités du terrain et devraient logiquement avoir leur mot à dire. D’une manière générale, l’accès à l’information est malheureusement difficile. Concernant les limites de la législation actuelle, on peut prendre l’exemple de la violence à l’égard des enfants. Cette violence a encore une grande place dans le système éducatif, dans les familles, dans les centres d’accueil à Maurice.

 

Le châtiment corporel est encore accepté à la maison et dans les alternative care. Il n’est interdit par aucune loi, sauf dans les écoles, grâce au Child Protection Act, loi toutefois peu respectée. Les cas de corporal punishment (claques, pincements, etc.) dans les établissements scolaires sont encore très fréquents, mais très rarement rapportés. Selon le Child Protection Act, les cas de violence devraient être dénoncés en milieu scolaire. C’est malheureusement rarement respecté. Le châtiment corporel est souvent ‘justifié’ comme moyen d’application de discipline. La violence psychologique, physique ou sexuelle est peu dénoncée par normalisation, banalisation ainsi qu’une très grande peur des représailles. Cet underreporting pose question.

 

En outre, les enfants sont peu sensibilisés à leurs droits et ne connaissent pas les hotlines pour signaler un acte de maltraitance – 113 pour la Child Development Unit et 117 pour l’Ombudsperson

 

Un tribunal pour les mineurs

Dominique Chan Low de l’ONG Kinouété, spécialisée dans la réinsertion des ex-détenus :

«Le Juvenile Act, qui repose sur un texte légal de 1938, doit impérativement être intégralement revu et mis à jour. Ce travail de fond nécessiterait que le State Law Office travaille en collaboration avec les ONG et la Commission mauricienne des droits de l’Homme. Par exemple, la notion de Child beyond control, qui permet à un parent ou à un shelter de demander à la cour le placement de son enfant au Rehabilitation Youth Centre, n’a plus lieu d’être.

 

Aujourd’hui, des juges spécialisés seraient également nécessaires pour prendre des décisions concernant les mineurs en conflit avec la loi au sein d’un tribunal pour enfants, dans leur meilleur intérêt. Des procès rapides doivent également permettre de réduire le nombre de mineurs en détention préventive. Le montant et l’existence des cautions posent aussi question. C’est injuste qu’un enfant reste en détention si sa famille n’a pas les moyens de payer la caution. Je dirais même que c’est fortement discriminatoire pour les enfants qui sont issus des milieux défavorisés.

 

Enfin, concernant les Rehabilitation Youth Centres et le Correctional Youth Centre, ces institutions doivent être restructurées, avec la mise en poste de personnel qualifié pour travailler précisément sur la réinsertion des mineurs dans la société, à l’issue de leur peine. Ces centres devraient mettre en place des ateliers de life-skills, renforcer les enseignements pédagogiques et à visée professionnelle, proposer une écoute et un accompagnement psychologique de qualité, travailler sur la restauration des liens parents-enfant pour favoriser la réintégration de l’enfant dans sa famille.

 

Il faut souligner aussi que la détention n’est pas la seule solution ; des peines alternatives doivent être étudiées et privilégiées, comme les travaux communautaires, qui peuvent être plus formateurs que l’emprisonnement, quand on vise la réhabilitation effective d’un enfant et qu’on souhaite prévenir la récidive.»

 

 

L’éducation gratuite pour les enfants handicapés

Géraldine Aliphon, directrice d’Autisme Maurice :

«Le droit à l’éducation des enfants porteurs de handicap est notre première préoccupation. L’éducation, y compris l’éducation spécialisée, devrait être accessible et gratuite pour tous. Cela nécessiterait un plan à long terme, mais pas besoin de réinventer la roue ! Le Canada oudes pays européens font très bien en la matière. À Maurice, des progrès ont été faits, surtout pour les élèves souffrant de handicap physique. Mais pour les déficiences mentales, dont l’autisme, l’augmentation des aides financières ne suffit pas à compenser tout ce qui revient àla charge des parents: les écoles spécialisées sont la plupart du temps payantes, avec de grandes disparités quant aux montants des frais de scolarité; le transport coûte cher car les écoles spécialisées peuvent être éloignées du domicile des parents.»

 

Des moyens pour la lutte contre les abus

Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue et directrice de Pédostop pour la prévention des abus sexuels et l’aide aux victimes :

«Pour les représentants de l’État, qui ont été auditionnés aux Nations unies à Genève, le respect des droits de l’enfant est une source de ‘grande préoccupation’. Je m’interroge: quel budget sera voté pour la protection de l’enfance ? L’enfant mauricien sera-t-il vraiment une priorité ?

 

Seuls 20 % du budget du ministère de l’Égalité du genre, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille sont alloués actuellement à la protection de l’enfance. L’État a annoncé au Comité des Nations unies le 15 janvier que le budget du ministère de l’Égalité du genre, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille avait augmenté et que 12 officiers seraient recrutés à la Child Development Unit (CDU). Ce qui est largement attendu. Investir considérablement dans ce secteur à la hauteur des besoins du terrain serait une décision politique forte.

 

Aujourd’hui, les moyens attribués sont très loin de suffire: dix Family Welfare Protection Officers dans les six bureaux de la CDU sur le terrain doivent se charger de plus de 5 000 nouveaux cas d’enfants victimes de violences rapportés par an, sans compter le suivi à faire dans des cas des années précédentes. C’est humainement impossible. Au bureau de l’Ombudsperson for Children,on compte quatre officiers seulement pour faire des enquêtes pour toute plainte d’enfant en danger. Nous espérons que des ressources humaines seront employées. Et qu’elles seront qualifiées et compétentes. Nous espérons aussi le recrutement de plus de psychologues à la CDU. Ils ne sont que six pour toutes ces situations de souffrance à gérer.

 

D’autres mesures concrètes sont également attendues comme rendre les lieux child-friendly pour entendre les témoignages des enfants victimes d’abus et ce, en toute confidentialité. Les procédures mises en place pour l’examen médical des enfants victimes d’abus et les délais actuels doivent être revus. Dans un cas d’abus sexuel, cela n’a pas de sens d’examiner médicalement un mineur plusieurs mois, voire plusieurs années après les faits ! L’aide légale réservée aux familles touchant moins de Rs 10 000 freine aussi les poursuites en justice, malheureusement. Certains parents gagnent un peu plus, mais ne peuvent pas se permettre de retenir les services d’un avocat pour leur enfant.»

 

Un plan d’action pour les enfants en situation de rue

Edley Maurer, manager de SAFIRE :

«Notre ONG est très soucieuse de la prise en charge des enfants en situation de rue : 6 780 mineurs estimés selon l’étude menée par notre ONG et la MFPWA en 2012. Ce sont donc autant de mineurs qui sont livrés à eux-mêmes, vulnérables, exposés aux différents fléaux sociaux, dont les exploitations sexuelles et économiques.

 

Or, ces enfants, mêmes s’ils rentrent chez eux le soir, auraient dû être sous la responsabilité de l’État durant la journée. Il faut également s’élever contre les discriminations qui les poussent dans la rue, notamment à l’école ! Il est essentiel aujourd’hui de donner les mêmes chances de réussir à tous les enfants, y compris aux jeunes issus des milieux vulnérables ! Pour préserver l’avenir de tous ces enfants, SAFIRE attend de l’État qu’il élabore un plan d’action concret en concertation avec la société civile. Et enfin, nous éradiquerons le phénomène d’enfants en situation de rue à Maurice.»

 

 

Des programmes de réduction des risques ouverts aux jeunes

Kunal Naïk, Advocacy Officer de CUT (Collectif Urgence Toxida) :

«Il ne faut pas se voiler la face, il y a des jeunes à Maurice qui consomment des substances. CUT est souvent en contact avec eux. Ils viennent se confier à nos équipes surles points d’échange de seringues de l’association, ou à travers nos services outreach. Mais pour l’instant ce n’est pas légal de leur échanger leurs seringues souillées contre d’autres propres. Les mineurs ne sont pas non plus autorisés à accéder au programme de substitution à base de méthadone. Il serait grand temps qu’ils puissent en bénéficier. Aujourd’hui, certains achètent même de la ‘bave de méthadone’ à des trafiquants. Aux Seychelles,c’est mieux, les mineurs bénéficient déjà du programme méthadone, sous un protocole spécifique à ce public. En outre à Maurice, il manque un centre de réhabilitation résidentiel spécialisé pour les adolescents. Un centre avec des psychologues pour la thérapie et des médecins, qui pourraient prescrire des médicaments de substitution si nécessaire.»

 

L’État doit aider àsensibiliser le public

Irène Alessandri, directrice de l’Association des parents d’enfants inadaptés de l’île Maurice :

«La lutte contre les discriminations va de pair avec la sensibilisation du public. Mais les ONG n’ont pas vraiment de gros moyens pour le faire. L’État pourrait les y aider. C’est essentiel que chacun comprenne mieux les droits et les besoins des personnes souffrant de déficiences mentales ou de troubles associés.»

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