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À quoi sert la COI dans le monde de Trump et de Xi Jinping ?
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À quoi sert la COI dans le monde de Trump et de Xi Jinping ?
Dans le grand jeu géopolitique qui redessine les relations internationales, la Commission de l’océan Indien (COI) pourrait sembler, à bien des égards, un vestige d’un monde multilatéral révolu. Créée en 1984 sur des idéaux de coopération régionale, elle regroupe aujourd’hui cinq États – Madagascar, Maurice, les Seychelles, l’Union des Comores et la France (via La Réunion). À l’heure où le multilatéralisme s’efface sous les coups de boutoir du bilatéralisme autoritaire de puissances comme les États-Unis de Donald Trump ou la Chine de Xi Jinping, à quoi sert encore cette organisation sous-régionale, peu audible, peu lisible et, selon certains, bureaucratisée ?
La question mérite d’être posée à l’occasion du Sommet des chefs d’État de la COI qui s’est ouvert hier à Tananarive, dix ans après la dernière réunion de ce type. Un sommet où, derrière les formules consensuelles sur la sécurité alimentaire et la coopération bleue, se cache une tension plus politique : l’intégration éventuelle de Mayotte au sein de l’organisation. En l’absence d’unanimité, notamment du côté comorien, cette demande portée par Emmanuel Macron semble vouée à l’impasse. Mais le simple fait qu’elle domine les coulisses du sommet dit tout : la COI est désormais le théâtre des contentieux postcoloniaux plus que le creuset d’un projet régional partagé.
Les critiques ne manquent pas. On reproche à la COI sa structure pesante, sa soumission aux logiques de financement des bailleurs – principalement l’Union européenne et la France – sa tendance à se réduire à une «agence de projets». Les «officiers permanents de liaison», ces fonctionnaires détachés des États membres, sont accusés de bloquer la prise de décision au nom d’intérêts nationaux étroits, usurpant parfois les prérogatives du secrétariat général. En somme, une organisation en panne de souffle, soumise à des rivalités diplomatiques internes et incapable d’exister politiquement face aux enjeux globaux.
Et pourtant, dans un monde où le droit international est instrumentalisé, où les instances multilatérales sont affaiblies, où la marchandisation des relations diplomatiques devient la norme, la COI pourrait bien redevenir pertinente – à condition de se réinventer. Car les défis auxquels sont confrontés les États insulaires de l’océan Indien sont, eux, bel et bien systémiques : vulnérabilité climatique, insécurité maritime, déséquilibres économiques, dépendance commerciale, flux migratoires. Aucun de ces enjeux ne peut être traité efficacement par des accords bilatéraux successifs ou des promesses conditionnées à des logiques de pouvoir.
Prenons l’exemple de la transition vers l’économie bleue et circulaire. Lors de l’atelier organisé en janvier 2025 par la Commission économique pour l’Afrique et l’Union africaine (UA), il a été clairement établi que les États insulaires doivent coopérer pour attirer des financements, harmoniser leurs normes et mutualiser leurs ressources techniques. Dans ce cadre, la COI reste une plateforme essentielle – encore faut-il qu’elle en prenne pleinement conscience et qu’elle affirme sa légitimité, non pas en tant que guichet de subventions, mais en tant qu’outil politique.
Le même constat vaut pour la sécurité maritime, alors que le canal du Mozambique devient un point de passage stratégique pour un tiers du commerce pétrolier mondial. La militarisation croissante de la zone – présence de bases américaines, indiennes, chinoises et russes – appelle une réponse collective des pays riverains pour garantir leur souveraineté et leur autonomie stratégique. La COI pourrait – devrait – être le cadre d’un dialogue permanent sur la gestion des ressources halieutiques, la surveillance maritime ou la lutte contre la piraterie et les trafics.
Mais cette ambition régionale est aujourd’hui fragilisée par deux dynamiques contradictoires : d’un côté, l’instrumentalisation politique de certains dossiers sensibles comme Mayotte ou les îles Éparses, qui polarisent les débats ; de l’autre, la tentation croissante des grandes puissances de contourner les cadres multilatéraux en favorisant des relations bilatérales plus asymétriques mais plus rentables. La récente décision de l’administration Trump d’imposer des droits de douane de 40 % aux exportations mauriciennes, sans justification ni consultation, en est un exemple frappant. Dans ce contexte, seule une voix régionale unifiée pourrait offrir une capacité de résistance.
Ce qui manque à la COI, ce n’est pas tant la compétence technique que le souffle politique. Ses États membres doivent cesser de la considérer comme un prolongement de leur ministère des Affaires étrangères et l’investir comme un outil de stratégie régionale. Ils doivent aussi assumer les ambiguïtés historiques qui la traversent, notamment sur les questions de souveraineté, et accepter que l’intégration régionale suppose des compromis – parfois douloureux – mais porteurs de stabilité à long terme.
Il est temps, pour reprendre les mots d’un ancien secrétaire général de la COI, que l’organisation cesse d’être une «commission» pour devenir une «communauté». Ce n’est pas qu’un changement de nom : c’est une réaffirmation de sens. La coopération régionale n’est pas un luxe ni un vœu pieux. Dans un monde de rapports de force, c’est peut-être, pour les petits États insulaires de l’océan Indien, leur dernière chance de peser encore.
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